SEVICE PUBLIC

NOEL AU RESTO.



Avant de se retrouver assistant d'éducation, Tony avait travaillé comme « troisième de cuisine » dans un petit restaurant : la Taverne Saint Bernard. Un couple près de la retraite tenait l'établissement : madame au service et à la caisse, monsieur aux cuisines et à la mégalo. Une aide cuisinière, Annie, aidait et souffrait le cuistot tandis que Tony assurait la plonge et la préparation des apéros.

 

Les fêtes de Noel occasionnaient une telle affluence que le couple avait décidé d'engager un extra au service, Séverine. Sa conscience professionnelle lui imposait une tenue très sexy et le string de rigueur.

Les patrons finissaient leur plat de résistance quand Tony arriva à 18 h00 précises. Le cuistot, monsieur Sinsou, proposa à Tony de prendre un en-cas avec eux.

Monsieur Sinsou – Tu veux une assiette de frittes ? J'ai pas fini les miennes !

Tony, rapidement déçu – Ben… Non, merci ! Je n'ai pas très faim pour l'instant…

Monsieur Sinsou, piqué – Mais j'y ai pas touché !

Madame Sinsou, presque gênée – Oh Michel, quand même !

Monsieur Sinsou – Mais j'y ai pas touché, je te dis !

Tony, mal à l'aise – Non mais ça va aller, merci ! En fait, je viens de prendre un café avec mon cousin et je crois que ça m'a barbouillé…

Madame Sinsou – A cette heure, ce n'est pas étonnant ! – Après une petite gorgée de Bordeaux – Bon, Tony : vous allez me préparer dix litres de sangria maison… et après, Michel vous donnera mes légumes à préparer !

Monsieur Sinsou, tout excité – Le réveillon, hein ? Ca va y aller !...

Tony – Oui… c'est sûr…

Monsieur Sinsou – Hein ? Ca va y aller ce soir !... Ca va y aller !...

Tony, sourire forcé – Oui… Je vais poser mon manteau et je me mets à la sangria !

Monsieur Sinsou, à sa femme – Faut nettoyer la merde avant que les clients arrivent ! Hein ?

Madame Sinsou, criant de peur de n'être pas entendue par Tony – Tony ! Avant d'attaquer la sangria, faudrait nettoyer le gras qui est tombé sur le carrelage !

Tony, agacé – Oui… je vais chercher le balai…

Madame Sinsou – Non, prenez la serpillère, c'est de la graisse de confit de canard !

Monsieur Sinsou, venant voir Tony – Bon, heureusement que vous avez pas mangé parce que les clients arrivent à huit heures et on a beaucoup de réservations !

Madame Sinsou, entrant dans le local où Tony se change – Michel !... Si tu ne veux pas tes frittes, je les jette !

Monsieur Sinsou – On va pas les jeter quand même ! Je les ai faites avec de la graisse d'oie !

Madame Sinsou – Que veux-tu que j'en fasse ?

Monsieur Sinsou, à Tony – Tu veux pas que je les mette de côté, pour chez toi ?

 

*

18h30

Tony enroulait le seul tablier disponible  autour de sa taille quand Annie arriva.

Annie  – A quelle heure t'es arrivé ?

Tony – A six heures…

Annie, la mine de circonstances – Ah ! Six heures ? Moi, madame Sinsou m'a dit qu'avec tout ce que je faisais au resto, je pouvais bien arriver à 18h30 !

Tony, comme vexé – Ah ! C'est normal avec tout ce que tu fais…

Annie, dans son trip – Et hier soir, après que tu sois parti, madame Sinsou me disait qu'elle avait de la chance d'avoir une seconde de cuisine comme moi, parce que, tu vois ? Moi, je fais tout ici !

Tony, amer – C'est sûr…

Annie – Et je peux te dire que le chef, il est pas toujours sympa avec moi ! Si tu voyais comment il me parle, parfois… même madame Sinsou, elle trouve qu'il va trop loin !

Tony – Mouais… Méfie-toi tout de même ! C'est sa femme et même si elle te donne l'impression de faire des confidences…

Annie, interrompant le pauvre plongeur – Dis, tu vas le mettre ce tablier ?

Tony, décontenancé – Hein ? Ben ouais… je porte des vêtements que je viens juste d'acheter…

Annie – Oh ! Si tu fais attention, tu n'en as pas besoin !

Tony, contemplant les fringues minables de sa coéquipière – Quoi ? Tu veux le tablier ?

Annie, fausse – Non, penses-tu ! Garde-le…

Tony, innocent – D'accord… parce comme que tu portes de vieux habits…

Annie, outrée – Comment ça, de vieux habits ? C'est mes habits du dimanche !

Tony, gêné – Ah… non mais il fait sombre et je n'ai pas vraiment réalisé… - Se ravisant – Tu devrais prendre le tablier, au cas où…

Annie, amère – Merci ! Moi, en cuisine, je risque de me tâcher !

Madame Sinsou – Annie, vous pourrez finir de décorer le sapin de Noël?

Annie, lèche-miches – Ah ! Madame Sinsou ! Qu'est-ce que vous ne feriez pas sans moi !

Madame Sinsou, tout sourire – Ah mais moi, je le dis : des employés comme vous, on n'en trouve pas tous les jours ! – Puis, à Tony – Hein, Tony ! C'est une perle cette Annie !

Tony, agacé – C'est sûr qu'elle sait faire un tas de choses !

Madame Sinsou – Ah mais c'est certain ! Je ne sais pas comment on ferait si elle n'était pas là ! Au fait, n'oubliez pas de nettoyer le gras sur le carrelage ! Imaginez qu'un client vienne à glisser et se blesse ! Je ne vous dis pas : je ferme boutique !

Tony – J'y vais… je me changeais avant de…

Madame Sinsou – Oui, oui ! Pensez à faire la sangria avant que les clients n'arrivent !

 

*

 

18h40

Tony coupait en petits dés des pommes et des oranges qu'il laisserait macérer avant de les plonger dans les verres de sangria au moment de l'apéro. Séverine, la serveuse, arriva : le tintement de la cloche attachée à la porte agaçait vaguement Tony. Séverine vint taper la bise à toute l'équipe et même aux chefs : après tout, c'était Noël ! On pouvait faire « quelques entorses aux principes » (dixit Michel Sinsou).

Annie – Tony, tu peux me laver ces plats ?

Tony, occupé par sa sangria – Euh… je finis ça et je te les lave…

Annie, comme paniquée – Ah non ! Je peux pas attendre ! J'en ai besoin tout de suite !

Tony, délaissant ses pommes – Bon, je vais lancer le lave-vaisselle pendant que je finis mes sangrias…

Annie, pressante – Mais… Tu peux pas les mettre au lave-vaisselle ! Il faut les laver à la main !

Tony – Pourquoi ?

Annie – Regarde les parois ! Elles sont noircies, il ne faut pas tout enlever ! Et surtout, ne les gratte pas au Scotch-Brite!

Tony, las – Bon… je vais te les laver…

Séverine – Salut Annie… salut Tony !

Tony – Salut Séverine, ça va ?

Séverine – Ouais… mais je te dis pas comme j'ai le bas-ventre en feu !

Tony, s'étouffant – Quoi ?

Séverine – Ouais, je me suis fait faire un tatou au bas-ventre, je te dis pas !

Tony, gêné – Ah… et tu t'es fait tatouer quel motif ?

Séverine, toute excitée – Tu veux voir ?…

Tony, paniqué - …non ! Non, je veux dire… que si on vient de te le faire, il doit y avoir un pansement…

Séverine, volontaire – C'est pas grave, je vais l'enlever juste pour que tu vois…

Tony, affolé – Non, c'est pas la peine, t'embêtes pas !

Séverine, braguette ouverte et pansement décollé – Regarde mon symbole ethnique !

Tony, perdu – C'est original…

Annie – Eh bien Séverine ! Tu te déshabille devant Tony maintenant ?

Séverine, faussement gênée – Non, il voulait juste voir mon tatou !

Annie, l'air coquin – Mouais, on dit ça, on dit ça… - A Tony – Tu as fini mes plats ?

Tony – Euh… voilà, ça y est !

Monsieur Sinsou, un sac de patates à la main – Il faudrait me peler deux ou trois seau de patates !

Tony – Euh… ouais… je finis la sangria avant…

Monsieur Sinsou, impérieux – Non, il me les faut tout de suite !

Madame Sinsou – Tony, vous avez fini la sangria ?

Tony – Presque…

Madame Sinsou, impatiente – Dépêchez-vous, il faut la finir avant que les clients n'arrivent ! Et n'oubliez pas de nettoyer le gras par terre, quelqu'un va finir pas se faire mal en tombant !

 

*

 

18h52

Tandis que Tony se hâtait de finir la sangria, Annie causait séduction avec Séverine : cette dernière expliquait que les tatouages suscitaient le désir chez les hommes et elle pensait bien devenir irrésistible aux yeux de son petit copain qui avait tendance, ces derniers temps, à regarder ailleurs.

Madame Sinsou – Alors Séverine, votre ami vient nous rendre visite ce soir ?

Séverine – Oui… par contre, madame Sinsou, je voulais vous demander quelque chose…

Madame Sinsou, intriguée par l'air gêné de la serveuse – Oui ?...

Séverine – Est-ce que je pourrais vous payer son repas avant de débaucher, tout à l'heure ?

Madame Sinsou, un peu vieux jeu – Pourquoi ? Il ne peut pas se payer le resto ?

Séverine – Non… il n'a pas de travail…

Madame Sinsou – Ah, il n'a pas de travail ? Mais il cherche au moins ?

Séverine – Le problème c'est qu'il n'a pas le temps… Il est artiste plasticien !

Madame Sinsou – Bon… très bien, vous me règlerez son repas avant de débaucher ! – Sur le ton de la confidence – Et puis, Hein ? Je demanderai au patron s'il veut bien vous faire une petite ristourne !

Séverine – Ca serait cool ! Merci madame Sinsou !

Madame Sinsou – Pas de quoi Séverine ! Tony, quand vous aurez fini la sangria, il faudra laver tous les verres à pieds parce que je me suis aperçu qu'ils avaient séché en gardant des traces !

Tony, affairé – Oui ! Je finis la sangria et je m'y mets !

Madame Sinsou, s'en retournant au comptoir – Et n'oubliez pas de ramasser le gras, Tony !

Annie, à Séverine – Mais ses parents ne peuvent pas l'aider ?

Séverine – Non… il s'est fâché avec eux ! Si tu veux, ils lui ont dit, le jour où il leur a demandé de lui acheter une voiture pour pouvoir aller faire ses expos, qu'il était temps qu'il se mette à travailler ! Il avait que 28 ans, à l'époque ! Du coup il a claqué la porte et il est parti vivre en colocation avec des potes à lui…

Annie, curieuse – Et là, vous vivez toujours en coloc ?

Séverine – Non, quand on s'est rencontré il y a quatre ans, j'ai loué un appartement et il est venu vivre chez moi !

Annie, étonnée – Tu travailles depuis quatre ans ?

Séverine, sur le ton de l'évidence – Oui… mais attend, j'en ai 22 quand même !

Au moment où Tony allait ouvrir le lave-vaisselle réservé aux verres à pieds, il fit tomber sur le pied de la serveuse une planche en bois lourde de quatre livres. C'est simple : Séverine, chaussée de bottes à talons très serrées, eut très mal !

Séverine, appuyée sur Annie – Oh putain ! Il m'a baisé le pied !

Annie, amusée mais moralisatrice – Fais attention Tony ! Je crois que tu lui as fait mal, là !

Tony, mortifié – Je suis désolé Séverine… Dans la précipitation je n'ai pas vu la planche en bois… Ca va aller ?...

Séverine, blanche comme une paire de fesses – Attend… la douleur me porte sur l'estomac !...

Tony – Désolé mais je n'ai pas vu la planche devant le lave-vaisselle…

Monsieur Sinsou, claudiquant – Bon, Annie ! Vous faites quoi là, vous papotez encore ?

Annie, sans scrupules – Attendez monsieur Sinsou ! Je reste avec Séverine parce que Tony lui a écrasé le pied avec une planche ! J'ai bien cru qu'elle allait s'évanouir !

Tony, outré – Comment ?

Monsieur Sinsou, s'en retournant dans ses fourneaux – Fais attention Tony ! C'est pas le moment de m'en esquinter une ! Va y avoir des clients ce soir, hein ? Faut que ça tourne !

Séverine, se remettant lentement – Le pire, c'est que j'ai plein de corps à ce pied ! Ca fait hyper longtemps que je dois aller voir un podologue…

Tony – Désolé Séverine…

 

*

 

18h55

Alors que Tony commençait à essuyer ces satanés verres à pieds, il entendit le bruit d'un sac de patates tombant sur le sol. Le « Eh merde ! » qui s'échappa de la bouche de madame Sinsou l'amusa intérieurement : il pensa que quoi qu'elle ait fait tomber, c'était bien fait ! Amusement de courte durée : la chef arriva près de Tony, son carré plongeant d'ordinaire impeccable complètement hirsute et le coude droit dans sa main gauche, le tout saupoudré d'un air mécontent.

Madame Sinsou – Tony, vous n'avez pas ramassé le gras et je me suis cassé la figure en glissant dessus !

Tony, livide – Quoi ?

Annie, s'en allant chercher le chef en cuisine – Chef ! Madame Sinsou est tombée par terre !

Monsieur Sinsou, faisant irruption – Et comment t'as fait ?

Tony, dans sa barbe – Oh merde !

Madame Sinsou – J'avais demandé à Tony de ramasser le gras… il ne l'a pas fait et j'ai glissé dessus !

Monsieur Sinsou – Ah ! Bon, et ça va ?

Madame Sinsou – Oui, oui… ça ne m'empêchera pas de travailler…

Monsieur Sinsou, obstiné – Ah bon ! Parce qu'il va y avoir du monde ce soir, hein ? Faut faire attention Tony, hein ?

Tony, plus bas que terre – Oui, désolé… je suis tellement speedé que je n'ai plus pensé au gras !

Madame Sinsou –Vous vous imaginez si c'avait été un client au lieu de moi ? Alors là, il me faisait fermer la boutique !

Tony, coi – Eh oui…

Madame Sinsou – Ou même : si je m'étais cassé quelque chose en tombant ! Comment j'aurais fait pour le restaurant !

Tony – …

Madame Sinsou – Bon, allez me nettoyer ce gras avant que quelqu'un d'autre ne se blesse !

Tony – J'y vais tout de suite !

Monsieur Sinsou, débarquant au moment où Tony s'en va gratter le gras – Tony ! Je vous laisse un seau de carottes à m'éplucher !

 

*

 

19h00

Bling-bling !

La petite cloche énervante qui tintait chaque fois qu'une personne arrivait fit croire à Tony que le début du calvaire avait commencé : des clients, toujours des clients, et ce avec pour seul horizon une débauche vers les deux heures du matin ! Puis non ! Tony réalisa qu'il n'était pas encore l'heure. Le visiteur n'était autre que Thomas, le fiancé de Séverine, qui venait décidément bien en avance pour prendre son repas à l'œil. Thomas n'eu qu'un petit « bonjour » pour Tony qui s'évertuait, balais espagnol en main, à récurer le gras du carrelage. En revanche, quand vint madame Sinsou, ce fut une autre histoire : il joua les charmeurs et discuta avec la matrone un bon moment, jusqu'à ce que le chef se mit à gueuler parce qu'il l'attendait depuis une plombe.

Là, Séverine prit le relais. Entre deux descriptions du merveilleux repas qui attendait Thomas, elle rappela à Tony que le chef attendait toujours ses carottes pelées. Thomas demanda à Séverine si c'était Tony, la « serveuse » ! Et insista quand Séverine lui dit de parler plus bas : un mec qui fait la plonge et qui passe la serpillère, c'est pas un mec et patati et patata !

Tony avait les boules ! Ce malotru avait beau avoir le crâne rasé et maints tatouages, il n'en demeurait pas mois un flemmard pour qui se lever tous les matins était si difficile qu'il lui fallait une femme capable d'assumer toutes les responsabilités qui lui incombaient ! A cette idée, l'orgueil de Tony se dilata au point de le rendre sourd aux moqueries insistantes de Thomas. Ou presque : « Ah mais c'est lui qui fait un doctorat ? Eh ben, il a commencé une grande carrière, dis donc ! » Pour la deuxième fois, Tony eu les boules : qu'est-ce qu'il avait à le juger ce merdeux ? Bref : il restait les carottes à éplucher et surtout le plus gros de la soirée à traverser !

 

*

 

19h07

Monsieur Sinsou arriva les lunettes posées au plus bas sur le nez et regarda un instant Tony avec ses airs d'intello des fourneaux. Tony ne comprit pas les intentions de son chef arrêté devant le seau de carottes maintenant pelées.

Monsieur Sinsou, sur un ton impérial – Non mais tu peux pas me sortir le seau que je puisse passer ?

Tony, confus – Oh ! Excusez-moi monsieur Sinsou…

Monsieur Sinsou, de son regard haut perché – Vous allez me préparer ces salades pour les entrées ! Je ne veux pas voir les morceaux jaunis alors vous m'enlevez tout ce qui n'est pas vert et que ça saute !

Tony s'exécuta mais il pensa qu'il se comportait comme une carpette : « Excusez-moi monsieur Sinsou… » ! Non, pire : « Oh ! Excusez-moi monsieur Sinsou… » ! Mais quelle mouche tsétsé l'avait piqué ? Le vieux lui parlait comme à une merde et lui, plus mou qu'une fesse, s'en excusait ! Décidément, c'était une soirée de crotte !

 

*

 

19h25

Monsieur Sinsou demanda son avis à son épouse :

Monsieur Sinsou – Eh, tu sais quoi ? Je crois bien qu'on va ouvrir à sept heures et demie au cas où on aurait un ou deux clients de plus !

Madame Sinsou – Oh… tu crois ? Je ne sais pas bien si ça vaut le coup d'ouvrir plus longtemps pour avoir deux clients de plus !

Monsieur Sinsou, avec son romantisme habituel – Tu veux toujours prendre ta retraite dans deux ans ?

Madame Sinsou – Oui…

Monsieur Sinsou – Alors on ouvre à sept heures et demie !

 

*

 

19h30

Bling-bling !

« Cette fois, ça y est ! » pensa Tony. Il était aux portes de l'enfer. Toute la soirée il allait devoir assurer pour permettre à des gens qu'il ne connaissait pas de se divertir.  Thomas prit place à la table de son choix.

Thomas, les pieds sous la table – Ahh !... Ca fait du bien de s'installer et de ne rien faire !

Séverine, aux anges – Tiens ! Voilà la carte…

Thomas – Voici !

Séverine – Pardon ! Voici la carte : choisis et je reviens dans quelques minutes ! Je vais voir les clients qui viennent d'arriver !

Annie, à Tony – Tony, il faut que tu viennes me démonter les grilles d'aération ! Elles sont complètement bouchées par la graisse !

Tony – J'arrive…

Le chef, voyant Tony débarquer – Qu'est-ce qu'il fait ici, lui ?

Annie – Je lui ai demandé de m'aider pour démonter et nettoyer les grilles d'aération.

Tony, étonné – Nettoyer ?

Le chef, coléreux – Mais nom de dieu, c'est avant l'ouverture qu'il faut le faire ça, Annie !

Annie, vexée – Mais chef, j'allais m'y mettre quand vous avez décidé d'ouvrir à sept heures et demie !

Le chef – Peut être mais moi, j'ai besoin que vous restiez en cuisine avec moi ! Je ne peux pas tout faire tout seul, merde !

Annie, penaude – Bon, ben Tony : tu défaits les grilles et tu vas les laver dans le lave-vaisselle !

Tony, dépité – Bon, j'y vais !...

Madame Sinsou – Tony, il me faut un américano maison ! Chef, une entrée, un château landais avec des frittes, et pour le dessert, une portion de vacherin !

Tony – Je finis de dévisser les grilles d'aération et je vais faire l'américano !

Madame Sinsou, impatiente – Non, non ! Il me le faut tout de suite ! Les autres apéros arrivent dans deux minutes !

 

*

 

19h37

Bling-bling !

Madame Sinsou – Bonjour messieurs-dames… une table pour huit ? Tenez, installez-vous confortablement, je vous apporte la carte !

Séverine, à Thomas – Tiens, ton château landais ! Bon appétit mon chéri !

Bling-bling !

Madame Sinsou – Bonjour ! Entrez, je vous en prie ! – Bling-bling ! – Ah ! La clochette amuse beaucoup votre enfant, je vois !

Le père, de ses airs de notable – Oui, il est taquin ! – A l'enfant de dix ans – Allez Lucas, arrête de t'amuser avec la porte, tu fais rentrer le froid !

L'enfant, résolu à s'amuser – C'est bon, je m'amuse ! – Bling-bling ! Bling-bling ! – Héhé…

Le père, à madame Sinsou – Je suis désolé mais il n'écoute rien !

Madame Sinsou – Ce n'est rien ! Il faut bien qu'il s'amuse un peu… - Bling-bling !

La mère – Oui, d'autant qu'il ne voulait pas venir au restaurant ce soir ! Il avait peur de s'ennuyer parce qu'on est tous un peu vieux pour lui ! – Bling-bling !

Madame Sinsou – Je vais vous chercher le menu ! – Bling-bling-bling !

Monsieur Sinsou, à son épouse – Dépêche-toi de me passer les commandes au lieu de discuter ! – Bling-bling !

Madame Sinsou, outrée – Non mais dis donc ! Tu crois que je m'amuse ?

Monsieur sinsou – Et moi, tu crois que je me roule les pousses !

Madame Sinsou – Oh, c'est bon ! Hein ? Je le connais, ton couplet ! Si tu veux, on échange ! Viens derrière le comptoir un peu ! – A Tony – Non mais qu'est-ce qu'il est pénible par moments !

Tony – Euh… ça va s'arranger, ne vous en faites pas… – Bling-bling-bling-bling !

Madame Sinsou, en parlant de l'enfant qui joue avec la clochete de la porte – Oh mais qu'est-ce qu'il est mal élevé ce gosse ! Ce n'est pas possible de voir des parents se laisser marcher dessus par des enfants de dix ans !

Tony – Ils ne savent pas s'y prendre, c'est tout !

Madame Sinsou – Une bonne paire de gifle, oui !

Tony – Ce n'est pas la solution madame Sinsou ! Je pense que quand on explique quelque chose à un enfant, il est tout à fait apte à comprendre… – Bling-bling !

Madame Sinsou – Non mais celui-ci, il entre dans l'adolescence… et je peux vous dire qu'il est infernal ! Je le sais parce que les clients sont des habitués ! Ils viennent très souvent.

Tony – Oui mais même un ado difficile : il suffit de lui expliquer les choses pour qu'il comprenne quand il fait mal !

Madame Sinsou, amusée – Vous croyez ? On voit bien que vous n'avez jamais eu d'enfants, vous !

 

*

 

20h05

Bling-bling !

Encore cette satanée clochette ! Tony se demandait si c'était encore cet enfant qui jouait ou bien si d'autres clients venaient passer la soirée au resto. Il imaginait ce que faisait sa famille : elle devait passer à l'apéritif. Quant à sa fiancée, elle passait le réveillon seule. Quelle joie !

Séverine, à Tony – Tu crois que si je demande une seconde part de vacherin à monsieur Sinsou, ça la fout mal ?

Tony, occupé – Hein ? Du vacherin ? Pour qui ? – Bling-bling !

Séverine – Pour Thomas ! C'est un très gros mangeur ! Pourtant, quand on le voit, on dirait pas ! Tu as vu comme il est mince ?

Tony – C'est sûr…

Séverine – Il a toujours été comme ça ! C'est à se demander où il le met ! – Tout à coup hilare - En fait, il doit faire de gros cacas !

Tony, exaspéré – Après tout, même s'il veut deux parts de plus, tu les paies !

Séverine – C'est vrai, remarque !

Le chef, arrêté net devant un saut d'épluchures - …

Tony, gêné par le regard fixe de monsieur Sinsou – Oui ?...

Le chef – Je t'ai déjà dit de me sortir ce saut de devant ! Tu veux que je tombe ? – Bling-bling !

Tony – Excusez-moi…

Le chef – Qu'est-ce que tu as fait avec la salade ? Tu en as trop jeté ! – Ouvrant la poubelle – Regarde-moi ça ! Allez, donne-moi un plat que je récupère les feuilles de salade !

Tony – Mais j'ai coupé les parties fanées des feuilles comme vous me l'aviez demandé !

Le chef – Non, j'ai pas dit de faire du travail de saligot !

Séverine – Tony, il me faut quatre sangrias dont une sans les fruits, deux américanos maison sans glace, trois Lillets blancs et deux rouges, un sainte Croix du Mont, deux Coca-Cola et une demiè-bouteille de Bordeaux !

Annie – Tony, il faudrait que tu me laves tous les plats qu'il y a au sous-sol ! J'en ai besoin tout de suite ! – Bling-bling !

Madame Sinsou – Tony, j'ai besoin que vous alliez me faire de la monnaie sur 100 euros en face ! Dites-leur que vous venez de ma part et faites vite parce que les clients à qui je dois rendre la monnaie sont pressés ! Ils vont au théâtre…

 

*

 

21h09

Le rush !

Madame Sinsou – Tony, mettez-moi de la mayonnaise sur ce foie gras !

Tony, étonné – De la mayonnaise ? – Bling-bling !

Madame Sinsou – Oui, c'est un client américain qui ne mange jamais son foie gras sans mayo et coca ! Si je demande au chef de mettre la mayonnaise, il est bien capable de refuser et d'aller engueuler ce client ! Mais bon, moi j'estime que s'il paie, il fait ce qu'il veut !

Tony – Ah… - Bling-bling !

Madame Sinsou – Il faudra, après, que vous alliez me chercher deux cartons de bouteilles de rosé ! Je ne m'en tiens pas, ce soir !

 

*

 

22h15

Bling-bling !

Une voix joviale – Hello ma Jeanette ! Comment ça va ?

Madame Sinsou – Salut les garçons ! – En tapant la bise – Salut Louis ! Ca faisait longtemps !

Bling-bling !

Un gars qui se la joue « zone » - Eh, b'soir madame-monsieur !

Louis, à madame Sinsou – Oui, on s'est dit que c'était le moment de soutenir tes activités économiques ! Bon, sinon, tu as une table pour neuf ?

Madame Sinsou, regardant le « zonard » d'un mauvais œil – Oui… on va en rapprocher deux…

Louis – Il y a des amis qui pourraient nous rejoindre d'ici un petit moment…

Madame Sinsou – D'accord… mais pour les places supplémentaires, on verra le moment venu !

Le zonard – Eh ! On peut s'occuper de moi ?

Madame Sinsou – Oui, bonsoir !

Le zonard – Je veux une table de quatre !

Madame Sinsou – Eh bien: voici qui devrait vous aller à merveille !

Le zonard – Non, moi je veux pas être là ! – Bling-bling !

Madame Sinsou – C'est que nous n'avons pratiquement plus de places…

Le zonard – Ouais mais moi, je veux pas être à côté de ces trav' !

Madame Sinsou, comprenant que le zonard parle de Louis et ses amis – Mais… ils ne vont rien vous faire ! Je les connais, ce sont des gens très bien !

Le pote du zonard – Ouais mais si il en veut à mon cul, j'lui casse la bouche !

Madame Sinsou, en route pour la plonge – Séverine, vous porterez les menus aux tables 7 et 8 s'il-vous-plaît ! – A Tony – Tony…

Tony, affairé – Oui? – Bling-bling!

Madame Sinsou – Y'a des banlieusards qui viennent de rentrer… je ne sais pas quoi faire !

Tony – Ben… ce sont des gens comme les autres !

Madame Sinsou – Oui mais ils ont déjà commencé à critiquer mes amis parce qu'ils sont homos !

Tony – Ah… parlez-en au chef, il saura peut être quoi faire…

Madame Sinsou – Oh, surtout pas ! Il va m'engueuler s'il sait que j'ai laissé entrer des jeunes de la banlieue ! Il ne peut pas les voir en peinture !

 

*

 

22h25

Le zonard – Me touche pas pédé !

Louis – Pardon ? Excusez-moi mais je vous ai frôlé malgré moi !

Le zonard – Ouais c'est ça ! J'l'avais dit à la vieille que j'te cassais la bouche si t'en voulais à mon cul !

Louis – Je suis désolé de vous faire peur mais je vous ai frôlé en attrapant mon téléphone portable dans mon manteau ! Loin de moi l'idée de vous toucher !

Le zonard - …

Louis – En plus, je suis avec mon ami !

Le zonard – Ouais, tous des trav' !

La foule des clients, à l'unanimité – Ouhhh !!!

Le zonard et son pote – Ouais, qu'est-ce qu'y a ? Vous faites les malins parce que vous êtes cinquante ? J'vous nique tous, bande d'enculés !

Madame Sinsou, à la plonge – Tony ! Venez vite ! Je crois qu'il va y avoir une bagarre !

Tony – Comment ? Mais que voulez-vous que je fasse ?

Madame Sinsou – Faites quelque chose avant que le chef se rende compte de ce qui se passe ! – Bling-bling !

Tony – Mais même si j'essaie d'intervenir, je ne vois pas trop pourquoi ils m'écouteraient ! Madame Sinsou – Essayez de leur dire de partir !

Tony – Mais c'est le genre de type qui n'écoute rien ! Ils ne comprennent qu'une chose : les coups ! Moi, je ne vois pas trop ce que peux leur dire…

Madame Sinsou, paniquée – Ah non ! Vous n'allez pas vous battre tout de même ?

Tony – Non, c'est ce que je vous dis : je ne vois pas comment intervenir…

Madame Sinsou, dans son délire - …parce que là, vous me faites fermer la boutique ! – Bling-bling !

Séverine, à voix basse – Madame Sinsou ! Thomas essaie d'arranger les choses…

Madame Sinsou – Ah ! Mais il faut qu'il fasse vite parce que les clients entrent ! Je n'ai pas envie que ces banlieusards leur fasse peur !

Le chef, sortant de sa cuisine avec un demi-jambon dans les mains – Qu'est-ce que c'est que tout ce raffut ?

 

*

 

22h45

Thomas était parvenu à faire sortir les « zonards » au prix d'une longue discussion. Madame Sinsou était aux anges et parlait même de lui faire cadeau de son repas gargantuesque.

Madame Sinsou, à Tony – Il a réussi à las faire partir ! Si vous aviez vu comment il a géré la chose…

Tony, las – Il a eu de la chance que la situation ne dégénère pas…

Le chef – Il sait y faire, c'est tout ! – Bling-bling !

Madame Sinsou, à Tony – En tout cas, vous voyez : j'avais raison quand je disais que ces banlieusard allaient nous créer des ennuis !

Tony, d'un ton monocorde – C'est dommage de voir que certaines personnes font tout ce qu'elles peuvent pour ressembler à l'image que l'on s'en fait !

Thomas, triomphal – Madame Sinsou… je pourrais avoir un cappuccino ?

Madame Sinsou – Bien sûr Thomas ! Tony, vous le préparez ?

Thomas – Merci…

Madame Sinsou – J'étais en train de raconter comment vous vous êtes débrouillé avec ces banlieusards…

Thomas, faussement modeste – Il faut savoir garder son calme ! Sinon, c'est la cata…

Madame Sinsou – Non mais après il ne faut pas s'étonner si certains font de la discrimination ! – Bling-bling !

Thomas, outré – Mais attendez ! C'est pas des mecs de la banlieue ! Ils étaient à la fac avec moi… et celui qui a eu des propos homophobes, il est même fils de prof !

Madame Sinsou, sous le regard étonné de Tony – Ah bon ?

Le chef, à son épouse – Allez, va voir les clients qui entrent ! Bouge-toi un peu !

 

*

 

23h45

Madame Sinsou faisait faire pour la énième fois le tour du propriétaire à Louis et ses amis : d'abord la cuisine puis la plonge. Là, elle présenta Tony comme le plongeur le plus diplômé qu'elle ait eu.

Louis, étonné – Et tu me dis qu'il est en doctorat ?

Madame Sinsou – Oui, il fait une thèse d'Intelligence Artificielle !

Louis – Non !

Madame Sinsou – Il remplace une plongeuse qui est partie chez elle, en Pologne ! Elle, elle était en Maîtrise de langues étrangères appliquées ! Tu imagines qu'elle parlait couramment cinq langues ?

Louis – Mais ils n'ont rien à faire dans un resto avec les niveaux qu'ils ont, ces jeunes gens !

Madame Sinsou – Peut être mais moi, je préfère avoir des gens trop diplômés que pas assez ! Tu vois, avant la polonaise, j'avais embauché un chinois qui ne parlait pas un mot de français ! Eh bien, je ne te dis pas comme c'était facile pour se faire comprendre ! Une fois, je lui ai demandé de nettoyer le trottoir devant l'entrée du restaurant. Et tu sais quoi ? Il est allé me prendre un bol de petit déjeuner et une brosse à dent pour faire ce que je lui demandais !

Louis – …

Madame Sinsou – Quand le chef a vu ça, il l'a viré je ne te dis pas comment !

 

*

 Suite...




20/12/2009
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