0. LA RENCONTRE.
Tony entra dans le secrétariat du collège avec à la main sa lettre de motivation et un exemplaire de son CV, au cas où celui envoyé par courrier aurait été égaré. La secrétaire, Dana, lui dit gentiment de s'asseoir. Tony répondit par un « non, ça va, merci » et s'acharna à faire cent cinquante fois le tour de la chaise qui se donnait pourtant généreusement à lui. Chose qui devait gonfler passablement l'affable secrétaire puisque, têtue elle aussi, elle dut insister au moins trente deux fois pour qu'il s'assied et ce, tout en gardant le sourire. Au bout d'un moment, Tony décida de se poser enfin sur la fameuse chaise : c'est à ce moment précis que le directeur de l'établissement vint le chercher. « C'était bien la peine ! » pensa Tony…
« M. Lagardère, se présenta-t-il, assied-toi !
Tony - OK, il me tutoie, ça commence bien…pensa t-il.
Monsieur Lagardère - Bon, j'ai ton CV là, pourquoi veux-tu être surveillant ?
Tony - Disons que j'aimerais travailler dans un lieu où je pourrais me servir de mes compétences…je travaille actuellement à mi-temps dans un restaurant et j'ai parfois l'impression de ne pas être à ma place… - pauvre Tony, raconter des cracks avec l'air aussi convaincu était franchement pathétique mais bon, avouer qu'il voulait juste gagner plus d'argent aurait été mal vu !
Monsieur Lagardère - Bon, je vois que tu as commencé un doctorat ?
Tony - Oui, en fait…
Monsieur Lagardère - Pourquoi en vie artificielle ?- demanda t-il sèchement.
Tony - Disons que je voudrais…
Monsieur Lagardère - Et puis c'est quoi ça, la vie artificielle ?- toujours sur un ton affable.
Tony - Ben…je me préparais à faire des recherches en intelligence artificielle lorsque je me suis aperçu que l'I.A. classique…
Monsieur Lagardère - La quoi ? De quoi parles-tu là ?
Tony - L'I.A. ! Pardon, je voulais dire l'intelligence artificielle…
Monsieur Lagardère - Bon et bien dites-le comme tout le monde, vous n'êtes pas dans votre fac ici !
Tony - Excusez-moi…-Tony avait la tête du gars qui fait mine de n'être pas vexé alors qu'il venait de se faire débourrer comme un pet ! - Où en étais-je…ah oui ! Je pense que nous devons reprendre les recherches en IA…pardon, je veux dire en intelligence artificielle…
Monsieur Lagardère - Bon, c'est bon…j'ai compris…- décidément Tony n'arriverait pas à finir une phrase dans le bureau de ce schnock qui passait à sa guise du vouvoiement au tutoiement.
Monsieur Lagardère - Et vous voulez faire quoi de vos diplômes ?
Tony - J'aimerais travailler dans la recherche… si la chance m'en était donnée…
Monsieur Lagardère - Il n'y a pas de chance, jeune homme - avec une accentuation tonique sur les deux derniers mots - on n'a que ce que l'on mérite !
Tony - Oui, bien sûr, c'était une façon de parl…
Monsieur Lagardère - Oui, oui…vous voulez travailler dans l'enseignement quoi ! On peut dire que vous en prenez des détours, vous, les jeunes ! Enfin bon, il n'est pas interdit de faire n'importe quoi !
Tony - Euh…
Monsieur Lagardère - Bon, vous allez partir pour la vie scolaire voir les C.P.E. ; je ne sais pas si nous allons vous embaucher … Vous comprenez, j'aurais bien voulu avoir quelqu'un de formation intellectuelle ! – Tony fut comme abasourdi…non, pas « comme », il était abasourdi, carrément sonné même ! - Mais bon, ça fait longtemps que la vie scolaire est en sous-effectif, alors on ne va pas faire les difficiles !
Les deux hommes sortirent dans le couloir (de la muerte) puis restèrent immobiles bien deux minutes. Soudain monsieur Lagardère regarda Tony droit dans la joue et lui lança à deux centimètres du pif : « Eh bien quoi ? Vous attendez peut être que je vous y mène ?
Tony - Oh, excusez moi monsieur, je n'avais pas vraiment réalisé…
Monsieur Lagardère - Eh bien, ça promet ! Bon allez, à la vie scolaire ! Le parcours est fléché, vous ne devriez pas vous perdre avec un peu d'effort ! Au revoir monsieur !
Tony - Au revoir monsieur Lagardère !
Même armé de la meilleure des volontés, Tony avait les boules. Il entra dans le couloir verdâtre et aperçu près de la cage d'escaliers un élève : sale tête, maigrichon, la tignasse frisée sur le dessus, la nuque longue et l'ensemble plus ou moins gominé avec un peu de gras ; il parlait avec une gamine…qui manifestement avait de la moustache ! C'était d'autant plus étrange qu'à cette heure ils auraient du se trouver en cours, mais bon : il continua son trajet sous le regard haineux de l'adolescent et quand il eu quitté son champ de vision, il entendit : « C'est qui cet enculé ?
- Chuuut Alexandre ! C'est peut être un nouveau prof… »
Tony fit mine de ne rien entendre même si la pastille fut un peu dure à avaler…Puis il arriva à la vie scolaire. Là, le C.P.E. l'accueillit :
« Bonjour, Christian Dufour; comment allez-vous ? – la bonhomie de l'homme fit plaisir à voir tant l'entrée dans ce collège s'était faite sous l'auspice de l'hostilité !
Tony - Bien merci !
Monsieur Dufour - Bon, je vous présente Johanna, assistante d'éducation, et Anne, surveillante selon l'ancien statut. Nous sommes vendredi, il n'y a plus qu'elles ce soir : vous pouvez voir que votre venue était attendue ! Allez, entrez dans mon bureau !
Tony - Merci.
Monsieur Dufour - Bon, j'ai vu votre CV : il me parait d'autant plus intéressant que vous serez à même de donner du soutien aux élèves en difficulté !
Tony - Sans problème !
Monsieur Dufour - Normalement, selon le statut, vous êtes censés donner quelques heures de soutien si ma mémoire est bonne…Ca ne vous dérange pas ?
Tony - Non, au contraire…
Monsieur Dufour - Ok ! Le reste du temps il s'agira de faire de la surveillance : alors par surveillance j'entends être vigilant afin d'éviter des drames, pas du flicage gratuit, hein !
Tony - Oui bien sûr…
Monsieur Dufour - De toute façon, dans l'ensemble, les enfants sont mignons ici !
Tony - D'accord…
Monsieur Dufour - Globalement, si vous voulez, votre fonction consiste à leur faire respecter les règles… Mais aussi les écouter, leur montrer que l'adulte est un repère à la fois sur le plan de la sanction quand elle s'impose et sur le plan de l'aide, des rapports de confiance ! Vous verrez vite que certaines personnes ont tendance à oublier ce dernier aspect du travail d'éducateur…Moi je pense que notre mission, c'est de les aider à grandir !
Tony - Bien sûr ! – répondit, convaincu, le futur pion qui ignorait encore combien l'articulation de ces deux aspects était justement ce qui posait problème.
Monsieur Dufour – Bon, sinon vous aurez le temps de faire votre travail scolaire en permanence, parce que j'imagine que vous devez en avoir.
Tony - On a le temps de travailler tout de même ?
Monsieur Dufour - Oui mais il ne faut pas perdre de vue que votre travail passe en second : si par exemple un élève a besoin d'aide pour ses devoirs, il faudra s'en occuper en priorité, hein !
Tony - Oui, bien sûr…
Monsieur Dufour - Bon, je crois qu'on a fait le tour de la question… Des précisions ?
Tony - Euh…non, je crois que c'est bon !... Il y a beaucoup de personnels éducatifs ?
Monsieur Dufour - Et bien on a le principal, monsieur Lagardère, qui prend sa retraite à la rentrée prochaine… nous avons la directrice des SEGPA, madame Bretelle et comme surveillants, Anna, Mario, Cédric et Johanna…Maria est aussi surveillante mais elle remplace provisoirement
Tony - Bon…et ça se passe bien dans l'ensemble ? - Là, le C.P.E. se mit à rire comme le père Noël, ou du moins ce que l'on s'en figure…
Monsieur Dufour - Bon, eh bien je vous appelle pour vous dire si votre candidature a été retenue ; je vais en parler à monsieur Lagardère que vous avez vu tout à l'heure…
Tony - D'accord…
Monsieur Dufour - Ok. Eh bien bonne journée !
Tony - Bonne journée, au revoir !