SEVICE PUBLIC

1. ET IL VIT QUE CELA NE LAISSAIT RIEN PRESAGER DE BON.





Tony était dans la vie scolaire avec Johanna et Mario depuis sept heures et demi quand le C.P.E. entra joyeusement : « Bonjour Tony, comment allez-vous ? » ; Tony aurait aimé dire « bien ! » mais passer une demi heure avec Johanna et Mario ne pouvait pas faire qu’il se sente bien. Mario était le genre de gars peu prolixe, un type qui compensait sa petite taille par une rusticité de mauvais aloi, du genre : « Ça va ?

        Ouais !

        Tu pourras me montrer comment faire ?

        Ouais !

        Et ça, tu crois que je peux ?

        Non !

        Tu crois que je dois demander ça au C.P.E ?

        Chai’pas ! »

La conversation n’allait que très rarement plus loin avec Mario, un vrai plaisir ! Quant à Johanna, comment dire ?... Elle était particulière : plus prolixe, certes, mais là était le problème. Elle était du genre : « Ah, Johanna, j’en profite pour te demander : on est obligé d’être présent dès huit heures ? Non, parce que sur le planning il est écrit huit heures et quart !

-   Justement, ça pose problème : normalement nous sommes censés être présents à huit heures et quart, seulement voilà : le C.P.E, monsieur Dufour, est un ancien cadre d’entreprise et il a un peu tendance à penser que le service public fonctionne comme son ancienne boite ! En ces moments je suis en pourparlers avec le syndicat… Au fait t’es syndiqué ? Non, parce que, enfin bon, tu fais comme tu veux mais si tu as des problèmes un jour il ne faudra pas t’étonner d’être dans la mouise ! Donc je disais que Catherine, la secrétaire du syndic… Ah oui, si tu veux te syndiquer, je te conseille la CGT : ce n’est pas le syndicat majoritaire ici, mais bon, c’est comme tu veux : moi je pense qu’être syndiqué chez les socialos c’est accepter implicitement les dérives néolibérales de la société. A toi de voir dans quel camp tu es. Enfin, personne ne t’oblige, tu fais comme tu veux… (Blablabla et blablabla) Toutefois moi j’ai milité avec des alter mondialistes et je peux te dire qu’ils en ont des idées sur l’école… pas comme Dufour ! Mais bon, je ne t’en dis pas trop sur Dufour, tu vas apprendre à le découvrir, le gugusse ! (Blablabla et blablabla et reblablabla)…

Voilà le problème (avec) Johanna : connotation politique systématique, embrigadement et procès d’intention à la moindre occasion. On se serait cru sous Staline ! Donc pour tout dire, Tony ne se sentait pas vraiment au mieux de sa forme.

Monsieur Dufour - Bon ce matin vous resterez avec un surveillant, hein ? Il vaut mieux que vous soyez en binôme afin de voir comment faire, OK ?

Tony, anxieux - D’accord !- Il devenait difficile pour Tony de cacher qu’il avait les boules et les chocottes !

Monsieur Dufour - Mario, vous vous occupez de notre toto ?         

Mario - Ouais ! Mais bon y’a des trucs qu’il peut faire tout seul, c’est pas un enfant !

Monsieur Dufour – Non mais il y a des choses qu’il faut qu’on lui montre, il peut pas les deviner non plus !

Tony, casque bleu – Non mais ne vous inquiétez pas…

Mario, rustre – Attends, mais qu’est-ce que tu dis toi ? Y a des trucs que tu peux faire tout seul…

Monsieur Dufour – Oh et puis écoutez, je suis C.P.E., hein ?! Je crois que je sais encore ce que je dis et que je suis légitime dans mon rôle !

Mario – Ok, c’est bon ! Allez viens, toi !-Tony sortit de la vie scolaire avec la crame du millénaire et un nœud à l’estomac…

Tony – On va où, là ? – Feignant que tout allait comme il se devait.

Mario – Ben ouvrir le portail, tiens ! Il est huit heures vingt, on est en retard !

Tony, toujours l’air de ne pas se faire envoyer dans les orties – Et je voulais te demander : ils sont comment les élèves ici ?

Mario – Comme des élèves !

Tony – Ah bon d’accord ! 

Tous les élèves regardaient le nouveau surveillant, murmuraient de-ci de-là : « C’est un pion…t’as vu son pull, on dirait qu’il l’a mis à l’envers…ouais, gavé… » Tony se sentait mal à l’aise dévoré par tant de regards aux coins desquels il pouvait voir parfois un peu de caca d’oeil. Mais bon, il se disait que tout ceci devait être normal. Jusqu’à ce qu’un autre murmure vienne lui défoncer son amour propre : « Putain, c’est l’enculé d’hier ! » L’éloge venait de l’étron gominé de la veille, Alexandre, toujours avec son regard d’égorgeur. Mais là encore Tony fit mine de ne rein entendre.

Soudain une main vint interférer avec le champ de vision périphérique de Tony : c’était le pseudo C.P.E., Maria. Elle n’avait pas l’air engageant : « Bonjour ! Je suis Maria. Je m’attendais à te trouver à la vie scolaire mais j’ai décidé de venir te saluer puisque tu n’as pas jugé bon de me rencontrer avant de prendre tes fonctions ! – Là Tony commençait à sentir son ventre se liquéfier.

- Bonjour, ravi de faire ta connaissance…

- Bien sûr ! De toute façon je sais très bien que je ne suis qu’une pionne ! – Conclut-elle en tournant les talons pour s’en aller d’où elle venait. Tony avait l’impression d’avoir la cagade tant son ventre le torturait.

- Bon, allez – dit Mario sur un ton nonchalant – on ferme le portail, ça va sonner dans deux minutes !

- D’accord. Et on fait quoi maintenant ?

- Moi je vais aller prendre le café parce que juste après je vais en permanence !

Les deux garçons traversèrent la cour quand un élève interrompit Tony en le regardant comme une bête curieuse :

- T’es le nouveau pion ?

- Dépêche-toi Tony, le café va refroidir ! – Ouah ! Tony trouva ça franchement sympa et pensa même que sous des dehors un peu austères, Mario était peut être un type chaleureux.

- Ouais, j’arrive ! – A l’élève - Oui, je suis le nouveau surveillant !

- Tu remplaces Aicha ?

- Euh… Je ne sais pas…

- Ton pull, il est gavé bien – dit le merdeux avec un air à la fois moqueur et médisant -, on dirait que tu l’as mis à l’envers !

- Mais non, c’est fait exprès… - Là, Tony comprit que l’autorité naturelle était peut être un simple concept de philosophie politique, c'est-à-dire un truc que l’on étudie à la fac mais qui n’existe pas dans la réalité, à part dans « L’instit » de Gérard Klein…

Tony entra dans la vie scolaire où tout le monde prenait la pause café. Johanna lui fit remarquer dans un grand éclat de moquerie qu’il avait mis son pull à l’envers ; remarque à laquelle il se sentit obligé de répondre par une explication qui, au final, lui donnait l’air encore plus ridicule. Il porta sa tasse à la bouche quand retentit la sonnerie. On entendit dans la cour hurler Maria, qui décidément en faisait trop selon les autres pions…elle hurlait des « rangez-vous où je prends votre carnet de correspondance ! » encore plus fort que la vraie CPE qu’elle remplaçait. Tony se fit même la remarque : il avait rarement entendu quelqu’un gueuler aussi fort. Il n’eut pas le temps de finir de penser ceci et de boire sa seconde gorgée de café que Maria entra à grands fracas dans la vie scolaire :

- J’en ai marre d’être obligée de les faire se ranger ! Et je vous rappelle – en regardant Tony uniquement, comme s’il avait été le seul à fauter – que vous n’êtes pas là pour prendre le café ! Tant qu’il y a des élèves dans la cour vous êtes censés vous en occuper et en premier lieu, les faire se ranger dès la première sonnerie ! Et ce n’est pas parce que je remplace un CPE que je dois tout me taper !

- Oui Maria…

- Et j’aimerais que l’on fasse rentrer la permanence !!

Là, Maria sortit en claquant la porte. Mario posa son verre vide sur la table et regarda par la porte vitrée les élèves qu’ il avait en étude : les quatrièmes AES ainsi que les 4 B, des SEGPA, ceux  que personne n’osait encore appeler par leur vrai qualificatif : des « cas sociaux ». Dont le fameux Alexandre qui en était déjà à deux « encu** » avec Tony.

- Tu peux me les faire rentrer – demanda Mario – le temps que je finisse mon café ?

Le temps que Tony sente venir le vent, le verre de Mario s’était comme par enchantement rempli.

- J’en ai pour cinq minutes, ne fais pas l’appel, je m’en occuperai !

- OK. »

Las, les cinq minutes durèrent dix fois plus longtemps et l’appel ne fut pas fait.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Petit Lexique :

 

CPE : conseiller principal d’éducation. S’occupe des élèves sur les plans éducatif et disciplinaire. Il en existe des bons comme des mauvais.

 

Pseudo CPE : il arrive qu’un CPE arrêté pour maladie soit remplacé par un surveillant qui connaît bien l’établissement.

 

Permanence : salle où les surveillants stockent les élèves quand leurs profs sont absents, ce qui arrive souvent dans certains établissements.



11/07/2009
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