SEVICE PUBLIC

2. « LE PASSAGE »





Comme la veille, Tony était présent sur les lieux dès sept heures et demi, transports publics oblige ! Pour passer le temps, il lisait un magasine de jeux vidéo, sa passion secrète.

« Salut, moi c’est Cédric !

- Salut, moi c’est Tony.

-T’es arrivé hier, c’est ça ?

- Ouais…

- Bon, pas trop dur ?

-Ca va, mais bon, il y a encore pas mal de choses que je ne me sens pas capable de faire tout seul !

- T’inquiètes, c’est plutôt cool comme taf, tu vas vite t’y faire…- Après un regard subreptice -  Mais tu lis quoi là ? « Jeux vidéo mag » ! Ah, j’y crois pas, tu lis ça, toi ?

- Non… c’est juste comme ça…

-Ha ha ha ha…non mais j’y crois pas !

Johanna, entrant dans la vie scolaire – Salut les garçons !

Cédric – Salut Johanna ! Ca va ?

Johanna – Alors Tony, ça va, pas trop dur ?

Tony, essayant d’oublier sa honte – Non, ça peut aller ! Mais bon, comme je disais à Cédric, il y a des choses que je crains de ne pas pouvoir faire tout seul !

Johanna – Non, mais attends, c’est normal ! De toute façon tu as toute la semaine pour t’y faire et puis tu verras, c’est un job plutôt sympa…

Monsieur Dufour, entrant dans le bureau en sifflotant – Bonjour tout le monde ! Tiens, vous êtes trois à l’heure ce matin ! Pas mal pour un mardi ! – Là, Johanna leva les yeux aux ciel –Bonjour Tony ! Comment allez-vous ?

Tony – Ben ça peut aller, merci. – A ce moment précis, il faut bien être conscient que Tony en avait un peu marre de répéter cinquante fois les mêmes choses.

Monsieur Dufour – Bon, alors cette journée d’hier ?

Tony, dépité – Ben… ça peut aller…

Cédric – Ben, ben… tu dis « ben » à chaque phrase ! Je vais t’appeler Ben !

Johanna, hilare – T’es con Céd ! – L’assemblée se mit à rire.

Anne, une autre surveillante – Bonjour ! Qu’est-ce qu’il se passe ici ?

Johanna – Salut Anne ! Non, c’est Céd qui appelle Tony, le nouveau, Ben, parce qu’il dit « ben » à toutes les phrases !

Tony, s’enfonçant encore plus profond dans la crotte – C’est vrai que j’ai un tas de tics…

Cédric, pouffant – Ouais, comme les chiens ! – L’assemblée repartit dans l’hilarité de plus belle.

Monsieur Dufour – Bon, trêve de plaisanteries… Tony, vous voyez avec vos collègues où vous êtes ce matin et dès que vous avez un moment, vous allez au secrétariat signer votre contrat, ok ?

Tony, soulagé de pouvoir changer de sujet – Bien…

Johanna – A midi je suis au passage, je pense qu’il devrait venir me doubler !

Monsieur Dufour – Oui, tout a fait…

Tony, feignant de s’intéresser à la chose – Le passage ?

Johanna – Oui, c’est là où l’on fait passer les élèves pour aller au réfectoire ; on vérifie qu’ils aient bien leur carte de cantine et quand tout est ok, on les envoi à la borne où ils passent leurs cartes. Ils prennent un plateau et se servent la nourriture.

Tony – D’accord… Donc je suis avec toi ce midi !

Johanna – Toi, Anne, tu es à la borne, c’est ça ?

Anne – Oui ! Bon, je vais ouvrir le portail, faire entrer les élèves.

Monsieur Dufour – Ok. Tony, vous allez dans les couloirs vérifier qu’il n’y ait personne avant la sonnerie ?

Tony – J’y vais.

Et alors qu’il sortait de la vie scolaire, il entendit Cédric dire à Johanna : « Eh, Johanna, tu sais quoi ? Ben, il lit des revues de jeux vidéo ! » Tony arpenta les couloirs pendant près de dix minutes quand retentit la sonnerie. Les élèves, plus ou moins en rang et ce matin plutôt moins que plus, entrèrent dans les classes avec leurs professeurs respectifs. Tony pensa que tout le monde étant en cours, il pourrait retourner à la vie scolaire. En chemin, il croisa Alexandre, l’élève qui l’avait insulté par deux fois déjà. Là, la moutarde lui monta au nez, mais il fit mine de rien :

- Tu fais quoi Alexandre ?

- Eh ! Comment tu connais mon nom, Ben ?

Ben ! Ben ! Non mais comment pouvait il lui sortir ce sobriquet alors qu’il se l’était pris dans le museau voici à peine trente minutes ? Et puis c’était un surveillant qui l’avait sortit ! Thomas n’était tout de même pas assez con au point de lui casser son autorité dès les premiers jours ? Surtout auprès de ce qui lui paraissait être un délinquant notoire ?

- Comment tu m’as appelé ?

- Vas y, lâche moi ! - Il ouvrit la porte de la classe et y entra en dépit de son retard.

Tony se sentit ridicule, comme aux pires heures de sa vie de collégien. Il arriva à la vie scolaire. Maria l’alpaga immédiatement :

- Tony, c’est toi qui as fait la première étude hier matin ?

- Euh…

- C’est Mario qui vient de me le dire !

- Oui, mais en fait j’ai remplacé Mario le temps qu’il prenne son café…

- Je ne veux pas savoir – dit le monstre en criant -, hier matin un élève a séché l’heure d’étude et est allé fumer des joins ! Tu n’avais pas fait l’appel et du coup on ne s’est aperçu de rien ! Tu te rends compte qu’il aurait pu lui arriver n’importe quoi ! Les parents sont très mécontents et menacent de porter le coup auprès de l’inspection d’académie ! Et moi je me suis faite allumer par Vandeputte ! Je ne suis peut être pas CPE, mais tu as intérêt à faire ce que je dis…

L’impression que Tony avait depuis la veille d’avoir la colique ne fit que s’accentuer : il allait vraiment finir par passer à l’acte ! Pourtant, cette Maria n’était qu’une pionne…

- En fait je n’ai pas fait l’appel car je ne sais pas comment on le fait…

- Mais dans ce cas tu demandes au lieu de vouloir prendre les devants ! – Monsieur Dufour intervint en la faveur de Tony :

Monsieur Dufour – Non mais c’est bon, il a voulu bien faire en prenant l’étude de Mario, c’est tout !

Maria – C’est bien beau de vouloir bien faire, mais encore faut il en être capable ! Mario sait très bien ce qu’il a à faire, ce n’est pas à quelqu’un qui commence tout juste à travailler de lui donner des leçons !

Monsieur Dufour – Maria, ne vous laissez pas déborder par vos nouvelles responsabilités ! Allons prendre le café !

Et ils sortirent tous les deux. Tout le monde regardait Tony quand Anna lui dit, prévenante :

- Et puis évite de te balader dans les étages tant que les gamins ne sont pas rentrés !

Johanna arriva de la permanence, l’air atterré :

- Putain, ils sont pénibles, j’ai même pas eu le temps de prendre mon café… Tony, tu peux me prendre la perme, cinq minutes ? Juste le temps de prendre mon kawa ?

- Ouais… - Tony savait qu’il allait en baver toute l’heure. En arrivant dans l’étude, il s’attela à noter les noms et prénoms de chacun des soixante dix élèves, des troisièmes pour la plupart. Bien sûr l’étude fut infernale et Johanna arriva cinq minutes avant la fin, prétextant qu’elle avait mis plus de temps que prévu à fumer sa clope. A peine sortit, Tony alla au secrétariat signer son contrat. Il attendit au moins dix minutes car le proviseur était lancé dans un discours probablement très important :

Le proviseur – Vous comprenez, ils ont deux salaires et ils trouvent le moyen d’être endettés ! On ne contracte pas de dettes quand on n’est pas capable de les honorer !

La secrétaire – Enfin, ils n’ont peut être pas fait exprès de s’endetter…

Le proviseur – Comment ça, ils n’ont pas fait exprès ? Ils sont irresponsables, voilà tout ! Déjà, quand on est smicard on ne fait pas trois gosses ! Ils ne sont même pas foutus de les élever ! Fallait voir au dernier conseil de classe : la gamine a onze et demi de moyenne… Moi j’ai préconisé le redoublement !

La secrétaire – Oui, Tony, tu veux quoi ?

Tony – Je viens pour signer mon contrat.

La secrétaire – Mais j’ai dit à Christian que ton contrat serait prêt demain !

Tony – Ah bon, il m’a dit de venir ce matin !

La secrétaire – Non, mais il n’écoute rien ma parole ! Demain, revient demain !

Le proviseur – Et dépêchez-vous d’aller travailler au lieu de perdre du temps !



14/07/2009
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