SEVICE PUBLIC

21. LA LUTTE DES CRASSES.






Le petit Ludovic s’amusait à couper le tuyau de l’extincteur, dans le couloir du second étage, quand Tony le surprit :

-         Que fais-tu dans les couloirs, Ludovic ?

Ludovic – Tête de mort !

Tony, sceptique – Quoi ?

Ludovic – Tête de mort !

Tony – Non mais je rêve là !

Ludovic, s’approchant de Tony au point d’être en tête à tête, ou plutôt en tête à pectoraux, dans la mesure où justement deux têtes, au moins, font la différence – Qu’es’t’a ? J’vais appeler mes frères moi, t’y vas voir y vont t’taper à la sortie !

Tony, sentant venir les ennuis – Ok, on va voir la directrice de la SEGPA !

Ludovic, bousculant Tony – Moi j’viens pas !

Tony – Ne t’avise pas de me toucher Ludovic !

Ludovic – Sinon t’y vas faire quoi à moi ? Moi j’appelle mes frères et zip - accompagnant l’onomatopée d’un glissement de pouce sur la gorge.

Tony, se souvenant que la malice est une force – Haha ! Je vois, tu as peur de madame Bretelle !

Ludovic, prêt à relever l’affront – Quoi ? Moi j’y pas peur du SEGPA, moi !

Tony – Alors viens avec moi dans son bureau si tu as le courage !

Ludovic, docile de trop d’opposition – D’acco’ !

Cédric, croisant la petite caravane dans le couloir – Vous faites quoi dans les couloirs ?

Tony – Je l’ai surpris en train de couper le tuyau de l’extincteur !

Cédric, faisant un bout de chemin avec eux – Tu ne vas pas l’emmener à Bretelle ?

Tony – Si, pourquoi ?

Cédric – Mais il va se faire tuer !

Tony – Et alors ? S’il ne s’était pas montré agressif avec moi, on n’en serait pas là !

Ludovic – Moi j’ai pas peu’ de la Bretelle !

Tony, sans s’apercevoir que Cédric avait bifurqué dans un autre couloir – Tu vois son insolence… mais… il est où ?

Ludovic – Il est parti la tête de mort !

Tony, frappant à la porte de madame Bretelle – Madame Bretelle ? Excusez-moi de vous déranger, je viens vous voir parce que j’ai des problèmes avec Ludovic…

Madame Bretelle  – Oui, entrez, mais nous devons faire vite car je n’ai pas le temps !

Tony – D’accord ! Je veillais à ce que personne ne traîne dans les couloirs quand j’ai trouvé Ludovic au deuxième étage en train de couper le tuyau de l’extincteur !

Madame Bretelle, les gros yeux – C’est vrai, ça, Ludovic ?

Ludovic, effronté – Ouais…

Tony – Le pire est qu’il m’a bousculé et fait des menaces quand je l’ai réprimandé !

Madame Bretelle  – Tu reconnais les faits, Ludovic ?

Ludovic – Bah ouais !

Madame Bretelle  – Bon, tu vas être puni ! Pour l’instant, je ne veux pas que tu ailles en cours ! Tu vas aller en permanence et tu n’en sors pas avant que je te le dise ! Maintenant tu vas m’attendre dans le couloir, je dois parler au surveillant !

Ludovic, en sortant – Ouais, j’va dir’ aux frérots quoi il a fait !

Madame Bretelle  – Tony, vous devez comprendre que les enfants comme Ludovic sont particuliers ! La notion de transgression n’a quasiment pas de sens pour eux !

Tony – Et je fais quoi, moi, avec ça ?

Madame Bretelle  – Je sais qu’il est facile pour la vie scolaire de prendre en défaut les élèves de SEGPA…

Tony, parlant en même temps que madame Bretelle  – Attendez, ça m’est égal qu’il soit de SEGPA…

Madame Bretelle, autoritaire – Vous me permettez de finir ce que je disais ? Ces enfants sont scolarisés malgré eux ! Nous faisons tout ce que nous pouvons pour les intégrer ! Il faut savoir que Ludovic, par exemple, n’a pas d’eau courante chez lui ! Il vit dans un appartement avec ses sept frères et sœurs… là, il ne faut pas compter que les devoirs soient faits correctement, on ne peut pas espérer qu’il ait la capacité de gérer les situations conflictuelles sans recourir à la violence…

Tony – D’accord ! Mais mon problème n’est pas là !

Madame Bretelle  – Il est où alors ?

Tony – Ce n’est pas la première fois que Ludovic me manque de respect…

Madame Bretelle, ironique – Oui, ce qui n’arrive pas avec les autres élèves !

Tony – Quels autres ?

Madame Bretelle  – Vous n’avez de problèmes qu’avec les SEGPA !

Tony – Non…

Madame Bretelle  – Il est facile de les mettre en faute ! Il suffit de leur crier dessus sans leur expliquer ce qu’on leur reproche et comme ces enfants ne supportent pas l’injustice, ils ont vite fait d’entrer dans la provocation !

Tony, estomaqué – Quelle injustice ? Je l’ai surpris en train de dégrader un extincteur et il m’a fait des menaces…

Madame Bretelle  – Des menaces ! Enfin, je ne sais pas trop ce qu’il a pu vous dire mais je suis surpris qu’un enfant de son âge vous fasse peur !

Tony – Non mais ce n’est pas le problème d’avoir peur…

Madame Bretelle  – Alors c’est quoi ?

Tony - …

Madame Bretelle  – C’est toujours pareil ! La vie scolaire fait une différence entre les élèves ! Quand il s’agit des SEGPA, elle donne à un incident mineur une importance telle que l’enfant en cause se retrouve au pied du mur et ne voit pas d’autre possibilité de s’en sortir que d’opter pour la violence !

Tony – Je ne fais pas de différence entre les élèves ! D’ordinaire, quand je ne peux régler moi-même un problème, je mène l’élève en cause voir un CPE. Là, comme il s’agissait d’un élève de SEGPA, j’ai jugé bon de vous en informer !

Madame Bretelle  – Bon, j’en suis informée maintenant !

Tony – …

Madame Bretelle  – Ludovic sera collé, ne vous inquiétez pas !

Tony – Je tiens à vous dire que j’aurais fait la même chose pour un autre élève ! Je ne cherche pas à minimiser une crasse selon qu’elle vient d’un collégien normal ou d’un SEGPA !

Madame Bretelle  – Vous voyez ! Vous opposez « normal » à « SEGPA » ! En une phrase vous venez de résumer vos préjugés !

Tony – Ce n’est pas ce que je veux dire…

Madame Bretelle  – Mais vous l’avez dit ! Les enfants de SEGPA sont comme les autres, ils ont envie de réussir ! Seulement ils n’ont pas eu la chance de prendre un bon départ dans la vie !

Tony, à bout de force – Mais je ne voulais pas dire ça !

Madame Bretelle  – Je vais vous dire une chose : les enfants ont tous envie de réussir ! Même un enfant comme Ludovic qui, depuis la sixième, a connu une forte régression au moins au niveau du langage ! Quand il est arrivé ici en sixième, il parlait correctement : en deux ans, son langage s’est considérablement appauvrit ! Malgré ça, je crois que si on le met en conditions de réussite, il voudra s’en sortir par ses propres moyens ! Mais ça, il faut vouloir le voir et ne pas se laisser aller à ses préjugés !

Tony, défait – Ok, je dois y aller, j’ai une permanence qui m’attend !

Madame Bretelle  – Bon, vous n’avez qu’à accompagner Ludovic en étude… et veillez bien à ce qu’il fasse son travail !

Tony – Je ne sais pas si c’est une bonne idée de le laisser avec moi dans la mesure où il n’écoute rien de ce que je lui dis !

Madame Bretelle  – Cessez de dramatiser un peu !

Tony, las – Allez Ludovic, tu viens avec moi en étude !

Ludovic – Quoi ?

Tony – On va en étude…

Ludovic, agressif – Moi j’y va pas moi !

Tony – Madame Bretelle, je fais quoi maintenant ?

Madame Bretelle  – Si vous ne savez pas le prendre, vous ne pourrez rien en faire Tony !

 




06/11/2009
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