2. La rentrée des crasses. Acte I.
1. La rentrée des crasses.
Acte I.
MARDI 2 SEPTEMBRE.
L'atmosphère était électrique : la matinée était entièrement dévolue à l'accueil des sixièmes. Normalement, cela laissait le temps aux surveillants de ne pas faire grand-chose. Monsieur Dufour, micro à la main, faisait l'appel des sixièmes E : à chaque nom prononcé correspondait un petit déambulement plus ou moins attachant…Tony, pour une fois, mangeait un croissant avec son café…mais les ennuis tombent toujours comme des merdes de pigeon : là et où on ne s'y attend pas !
Madame Sauzéon, paniquée – Il faudrait que l'un d'entre vous aille au secrétariat voir si Dana a fini l'inscription d'une élève…
Maria, bouche pleine – On n'est jamais tranquille ici !
Madame Sauzéon, agacée – Non mais dites donc, je peux quand même vous demander de faire ce pour quoi vous êtes payés, non ?
Tony – J'y vais… c'est qui, cette élève ?
Madame Sauzéon, un petit regard en coin dédicacé à Maria – Je ne me souviens plus de son prénom… c'est la sœur d'un élève d'ici !
Tony – D'accord, j'y vais !
Johanna – C'est toujours lui qui fait ce que les autres ne veulent pas faire, madame Sauzéon ! C'est pas normal !
Madame Sauzéon, interloquée – Ben dites ! C'est ma faute, à moi ? Personne ne s'est levé pour y aller à sa place que je sache !
Johanna – Non, mais je tiens juste à dire qu'il y a des choses qui ne vont pas ! Je peux, oui ?
Madame Sauzéon – Mais pourquoi vous n'y êtes pas allé ? Vous êtes toujours dans la revendication mais vous n'agissez pas !
Johanna – Je ne vous permets pas de me parler comme vous le faites !
Madame Sauzéon, 38 de tension – Pardon ?!
Tony, entrant dans le secrétariat – Bonjour… - Là, il se passa quelque chose d'étrange. Un tout petit bonhomme, pas bien vieux selon l'état civil, était assis, recroquevillé sur lui-même : il avait l'air d'avoir le double de son âge… Mais là n'était pas le pire : il avait du accompagner les tartines du p'tit déj avec un cubi de cinq litres, à en juger par la couleur de ses blancs d'yeux tous rouges et l'odeur de bourre pif qui refoulait, même bouche fermée. Sa fille, à moins que ce ne fût sa petite fille, avait une drôle de tête mais Tony ne chercha pas à analyser la cause du malaise qu'elle suscitait en lui. – Monsieur, bonjour…
Le type – B'jour !
Dana, à Tony – J'ai bientôt fini l'inscription administrative, tu es pressé ?
Le type, intimidant, à Tony – La quoi ?
Tony, au type – Je n'ai rien dit, moi…
Dana, parlant comme à un sourd – L'inscription administrative !
Le type, perplexe – C'est quoi, ça ?
Dana, exaspérée – C'est ce qu'on est en train de faire depuis une heure !
Le type, retrouvant son sourire – Ah bon !... Parce que moi je comprends pas toujours ce qui se passe…
Dana, résignée – Eh oui, ça arrive !
Tony, à Dana – Tu en as pour longtemps ?
Dana – Non !...
Le type, regardant Tony d'un drôle d'air – De quoi ?
Tony, inquiet – Pardon ?
Dana, au type – Quelle est votre activité professionnelle ?
Le type – Sans !
Dana, l'air entendu – Ah !...
La fille du type – C'est quoi « situation quelque chose » ?
Le type, l'air détaché – C'est… le travail.
La fillette – C'est quoi le travail ?
Le type, inconscient de l'échange de regard entre Dana et Tony – C'est rien ! T'occupe !
Dana, à Tony – C'est bon, tu peux emmener la jeune Dahlia, moi je vais finir avec monsieur.
Tony – D'accord… tu viens avec moi, Dahlia ?
Dahlia, sourire crispé, en sortant du secrétariat – On va où ?
Tony – Je t'emmène rejoindre ta classe…
Dahlia – Moi je veux aller en SEGPA ! Je veux pas aller dans la sixième des bourges !
Tony – Pardon ?
Dahlia, regardant fixement Charlène en train de passer le balai – Elle a une tête de mort la vieille !
Tony – Mais… pourquoi tu dis ça ? Elle t'a rien fait que je saches…
Dahlia, rire crispé – Elle balaye la bouffonne !
Tony, sec – Elle balaie parce que c'est son travail !
Dahlia – Mais moi, je travaillerai pas, moi !
Tony – Et comment crois-tu pouvoir vivre et gagner ta vie ?
Dahlia – Mais moi je vais me marier avec un homme qui va gagner de l'argent, moi !
Tony, arrivant près de la sixième E – Ah bon… - Soulagé de s'en débarrasser - Tiens ! Voici ta classe…
Monsieur Dufour, réceptionnant Dahlia – Bonjour Dahlia ! Je suis monsieur Dufour, le CPE… voici ta classe et ton professeur principal, monsieur Manin…
Dahlia – Mais moi je veux pas aller en sixième bouge, moi !
Monsieur Dufour – Comment ?
Tony – C'est bon ?... Je peux y aller ?
Monsieur Dufour, tout encore perturbé – Oui… merci.
Tony, entrant dans la vie scolaire – J'ai l'impression que la petite ne va pas être triste !
Ed – Pourquoi ?
Tony – Tu imagines qu'elle ignore ce que veut dire « travail » et qu'elle prévoit, à son âge, de se marier avec un type qui l'entretiendra ?
Johanna – Ben ouais ! Mais elle vient pas d'un milieu aisé je peux te dire !
Tony – Comment ça ?
Johanna – Elle vit dans un taudis, au fin fond de la cambrouse ! Trouver de l'argent sans travailler, c'est un rêve dans ce genre de milieu !
Ed – Je n'arrive pas à faire la part entre ton culturalisme supposé et ta condescendance ! C'est troublant !...
Johanna – Alors s'il y en a un qui peut me faire des leçons de morale, c'est pas toi !
Madame Bretelle, entrant dans la vie scolaire – Bonjour ! Je viens pour savoir si vous avez un carnet de correspondance ainsi que tous les documents pour l'inscription d'un élève.
Tony – Euh… oui, on doit avoir ça… L'élève ne l'a pas eu ou il s'agit d'autre chose ?
Madame Bretelle – Non, c'est pour un élève qui s'est inscrit à la SEGPA tout à l'heure !
Tony – Ah ! Un petit nouveau, alors…
Madame Bretelle – Non, il rentrera demain. Il est en quatrième…
Tony – Il faut lui faire la visite de l'établissement ?
Madame Bretelle – Non, en fait c'est un ancien élève qui a été exclu l'an dernier et qu'on réintègre !
Tony, perplexe – Ah…
Madame Bretelle – Oui, c'est le petit Ludovic ! Vu que la surveillante avec laquelle il a eu ce clash ne travaille plus ici, on a pensé qu'on pouvait tenter une réintégration !
Ed – Eh bien ! On va rigoler !
Madame Bretelle – Alors ça, je m'en doutais ! On ne va pas commencer à lui coller une étiquette sur le dos avant même qu'il ait réintégré le collège ! Parce que, moi, je crois que s'il s'est fait virer de l'établissement, c'est en grande partie la faute des adultes !
Ed – Ouais… enfin, il avait juste attaqué une surveillante avant de venir avec du renfort pour se bastonner avec nous tous !
Madame Bretelle – Mais bien sur… moi je crois que la chose a été très mal interprétée… voire même qu'elle a été instrumentalisée pour se débarrasser d'un SEGPA !
Ed – Dites carrément qu'on rejette les cas sociaux, pendant que vous y êtes !
Madame Bretelle – En tous cas, il y a un manque de considération criant à leur égard ! Il ne faut pas s'étonner qu'ils réagissent comme ils le font ! De toute façon, Ludovic s'est engagé à se tenir correctement cette année d'autant qu'il va être dans le même collège que sa petite cousine…
Tony, traversé d'un éclair – Ah ! Mais c'est Dahlia !
Madame Bretelle, étonnée – Oui !... Qui vous l'a dit ?
Tony – La ressemblance !
Madame Bretelle – La ressemblance ? Vous n'allez pas vous y mettre !
Tony – Quoi ?
Madame Bretelle, fâchée – Je vois très bien où vous voulez en venir ! Ils se ressemblent, on va donc pouvoir lui faire tous les reproches possibles ! Mais je vous rappelle qu'elle n'a pas à payer pour les erreurs passées de son cousin, pas plus que son cousin n'a à payer pour ses erreurs passées ! Je crois qu'il a payé sa dette !
Tony, confondu – Mais je ne voulais pas dire ça !... Je parlais juste de ressemblance physique !