3. « Ca tarte ? »
3. « Ca tarte ? »
MERCREDI 3 SEPTEMBRE.
Les quatrièmes et troisièmes n’auraient pas le privilège des plus jeunes d’une rentrée par niveau sur une demi-journée. Tout le monde était tenu d’être présent dès 8h15. Madame Sauzéon accompagnait Tony au portail.
Madame Sauzéon – Comme d’habitude tout le monde est en retard et c’est à vous d’ouvrir le portail !
Tony, contrarié d’avoir à se taper le boulot des autres mais n’ayant pas à cœur – ou le courage ?- de dire les choses franchement – Ce n’est pas grave…
Madame Sauzéon, ulcérée de voir madame Bretelle au portail avant tout le monde – Non mais j’en ai marre ! Qu’est-ce qu’elle fout là, cette conne ? – Puis, devant le regard étonné de Tony – Oups ! Pardon !
Tony – Pas de problème… je ne comprends pas pourquoi elle est au portail alors que nous sommes à l’heure !
Madame Sauzéon – Elle ferait mieux de s’occuper de ses SEGPA au lieu de nous gonfler ! Non mais je te jure !...
Madame Bretelle – Qu’est-ce qui se passe ce matin ? Je suis venu ouvrir parce que franchement… ça la fiche mal d’ouvrir le collège en retard le jour de la rentrée…
Madame Sauzéon – Comment ça « en retard » ? Je te signale qu’il est huit heures moins cinq !
Madame Bretelle, sceptique, un œil sur sa montre – Ah bon ?
Tony, exposant son portable – Oui, oui… nous avons cinq minutes d’avance !
Madame Bretelle, daignant à peine jeter un regard sur l’heure – Mouais… ma montre doit être en retard… Autant pour moi !
La petite Chloé, venant naïvement taper la bise au surveillant – Salut Tony !
Tony, moqué – Euh… Chloé…
Chloé – Oui ?
Tony – Je n’ai pas le droit de faire la bise aux élèves…
Chloé, étonnée – Même pas aux filles ?
Tony, blasé – D’ordinaire, je ne fais pas la bise aux garçons !
Chloé – Et comment tu leur dit « bonjour » ?
Tony – Euh… en leur serrant la main !
Chloé, intriguée – Mais si tu leur serre la main, pourquoi tu nous fais pas la bise ? Tu vas quand même pas nous serrer la main, pendant qu’on y est ?
Tony – Si… je peux te serrer la main…
Chloé, la main tendue – Bon… c’est bizarre… mais pourquoi tu n’as pas le droit de nous faire la bise ?
Tony, embarrassé – Pff… Disons que la chose pourrait être perçue comme un acte familier ou de favoritisme…
Madame Bretelle, à Chloé – Tu n’as pas cours aujourd’hui ?
Chloé, intimidée – Si…
Madame Bretelle – Alors laisse le surveillant et rentre dans le collège !
Chloé, s’exécutant – Oui madame…
Madame Bretelle – Je souhaiterais, Tony, que vous évitiez ce type de familiarité avec les élèves… je trouve un peu anormal qu’ils vous parlent comme si vous étiez des copains !
Tony, prompt à se justifier – Mais… mais non… je ne laisserai pas un enfant…
Madame Bretelle, l’interrompant – Un élève !
Tony – Pardon ? Un élève !... Oui, je ne laisserais pas un élève me manquer de…
Madame Bretelle, coupable pour une deuxième fois d’incorrection – Excusez-moi mais j’ai à faire !
Noémie – Salut Tony, ça tarte ?
Tony, surpris de revoir une ex-suicidaire – Pardon ?
Noémie, caca d’œil en coin de paupières – Ca tarte ?
Tony – Tu veux dire : « ça farte » ?
Noémie, réalisant la bêtise qu’elle vient de dire – J’suis conne ! Je confond toujours parce que mon frère, y dit toujours « ça tarte » au lieu de ce que t’as dit et il me met une tarte quand je dis « oui » et y me fait gavé mal…
Tony, interrompant Noémie dans son hilarité – Tu devrais rentrer dans le collège avant de te faire disputer…
Noémie, l’air soudainement secret – Ouais… surtout que j’ai cru que j’allais me faire défoncer par Sauzéon quand elle a failli me voir en train du fumer une cloppe…
Tony, perplexe – Tu fumais ? Où ? Là, devant ?
Noémie – Ouais… mais tu vois, je me suis dit que j’emmerdais le collège et que j’ai le droit de fumer parce que en dehors du collège, vous pouvez rien me dire !
Tony – On ne peut rien te dire ? N’empêche que tu as eu peur de madame Sauzéon !
Noémie – Ouais ! Elle m’a fait peur cette connasse !
Tony – Chut ! Non mais tu peux parler autrement ?
Noémie – Excuse… je suis sur l’énervement parce que je me suis remise à fumer et que je vais être en manque pendant les cours, tu vois…
Tony, sentant venir le boulet – Oui, oui… tu devrais peut être rentrer avant de te faire disputer…
Noémie, lancée – Ouais, peut être… et tu vois, mon boy-friend, il me vend un paquet de cloppes dix euros…
Tony, déjà ailleurs – Dix euros ? A ce prix, c’est de l’extorsion !
Noémie – Je me suis pas fais mal à la cheville ! Non, c’est mon boy-friend qui me vend un paquet par jour, alors tu imagines combien ça me coûte, les vacances ?
Tony, presque intrigué – Tu fumes un paquet par jour ? Toi ?
Noémie – Non ! Pas tout ! Mon mec aussi ! Surtout après qu’on a fait…
Tony – Que vous avez fait ?
Noémie – Ben tu vois, quoi ?...
Tony, agacé de tant de mystères – Après que vous ayez fait quoi ?
Noémie – Ben après qu’on a niqué !
Tony, s’étranglant avec sa salive – Pardon ? Tu peux parler autrement, s’il-te-plaît ?
Noémie – Ouais ! Pardon ! Je veux dire : après qu’on a baisé !
Tony, vaincu – Laisse tomber…
Noémie – Hein ?
Tony – Rien ! Tu devrais rentrer avant de te faire disputer !
Noémie, insistante – T’inquiètes pas ! Je l’emmerde, Sauzéon !
Tony – Mais arrête avec madame Sauzéon ! Et puis je ne te parle pas d’elle mais de ta directrice : madame Bretelle !
Noémie – Non mais je m’en fous de ce qu’elle peut dire cette connasse !
Tony, excédé – Ton vocabulaire ! Merde !
Noémie – Pardon ! Non mais le pire, tu vois ? C’est que mon mec, il me force à baiser !
Tony, nauséeux – Pardon ?
Noémie, à fond dans son trip – Ouais, tu vois ? Une fois, il m’a dit que si je voulais pas baiser, il irait baiser ailleurs ! Alors moi j’ai fait… hum, hum ! Tu vois ?
Tony – Je vois, oui ! Mais tu en as parlé à tes parents ?
Noémie – Non ! Je veux pas qu’ils savent ! Ils savent pas que je baise et je fais… tu vois ?
Tony – Pas vraiment ! Tu fais quoi d’autre ?
Noémie – Ben, hum, hum !
Tony – Non mais dis ce que tu as à dire, au point où tu en es !
Noémie – Eh ben ! Que je fume !
Tony, pour lui-même – Putain ! Que j’en ai marre !
Noémie – De quoi ?
Tony – Tu devrais vraiment rentrer avant de te faire disputer par madame Bretelle…
Noémie, interrompant le surveillant – Elle va se faire enculer, elle !
Madame Bretelle, surgie de nulle part – Qu’est-ce que c’est que ce vocabulaire ?
Noémie, livide – Euh…
Madame Bretelle – Je ne veux pas savoir ! Rentre dans le collège avant que je ne te mette deux heures de retenue !
Noémie, dans sa barbe – M’en fous ! Pour la peine, je mangerai pas !
Ed, croisant Noémie – Tiens ! Salut Noémie ! Ca va ?
Noémie, d’un pas décidé – Non ! J’en ai marre de ce collège de merde ! Je mangerai pas puisque vous me cassez tous les couilles !
Ed, amusé – On dit : toutes ! C’est féminin !
Tony, à Ed – Laisse tomber ! Elle est inchangée au programme !
Ed, serrant la main à son cousin – Alors, tu as retrouvé ta fiancée ?