31. LES BARRICRADES.
Partie II.
A la vie scolaire, c’était
l’effervescence : madame Sauzéon tâchait de calmer les enfants qui
pleuraient de peur, Anna rassurait les parents qui débarquaient pour savoir de quoi
il retournait et Mario rameutait les derniers réfractaires qui voulaient rester
dans la cour pour assister à une bagarre. Tony intercepta un des nouveaux
élèves avec un extincteur; il l’emmena à la vie scolaire.
Tony – Madame Sauzéon ! J’ai choppé le nouveau en train de démonter l’extincteur du rez-de-chaussée ! Il s’apprêtait à taper sur les lycéens avec le tuyau et l’embout!
Madame Sauzéon – Non mais je rêve, là !
Thibaud, la face pleine de boutons de pus – C’est bon !
Madame Sauzéon, le gaulant par les cheveux – Ne me parle pas avec ce dédain là !
Thibaud, vindicatif mais impuissant – Vous avez pas le droit de me toucher !
Madame Sauzéon, criant plus fort que lui – Ta mère m’a dit ce matin que j’avais le feu vert si tu te faisais remarquer !
Ed, entrant furieux dans la vie scolaire – Dedans, tout de suite !
Antoine, le pote d’Alexandre – Non !
Ed, hurlant – Entre ou je te fais entrer !
Antoine, le front contre celui d’Ed – Viens, on va se battre dans la cours !
Ed – Va chier ! – Ed plaqua la tête d’Antoine contre le
mur ! Madame Sauzéon paniqua et s’interposa entre le surveillant et l’ado
furieux et prêt à tout pour en découdre enfin avec un adulte.
Madame Sauzéon – Calmez-vous Edouard ! Vous n’allez pas recommencer !
Ed – J’en ai marre de ce petit con ! Je l’ai trouvé dans la cour avec une grosse clé anglaise dans son sac à dos ! Et depuis que je l’ai topé, il ne cesse de m’insulter…
Madame Sauzéon, éberluée – Quoi ?
Antoine, ricanant de haine – Et Ouais !
Ed, empoignant Antoine par le col – Je vais te calmer, moi!
Antoine, vociférant tout ce qu’il peut – Lâche-moi enculé ! Je vais dire à mes frères de te niquer à la sortie !
Madame Sauzéon, saisissant le bras d’Ed – Non ! Laissez-le ! Cette fois c’est le conseil de discipline Antoine !
Antoine – Je m’en bats les couilles ! Je vous encule tous !
Madame Sauzéon – Vous venez tous les deux avec moi chez le proviseur !
Antoine, réfractaire – Vas-y, essaie de me forcer, la vieille !
Ed, pour une fois psychologue – Quoi ? Tu fais le malin et t’as pas les couilles d’aller voir un vulgaire dirlo !
Antoine, s’approchant d’Ed – Quoi ? Tu crois que j’ai peur de ce bouffon ?
Madame Sauzéon – Vous venez avec moi Edouard ! Je veux que vous expliquiez à monsieur Lagardère le comportement de ces deux-là !
Ed – Ok, on y va !
Tony, décrochant le téléphone qui sonnait avec insistance – Vie scolaire, bonjour !
Une mère – Bonjour, je suis venue voir une dame ce matin à propos de mon fils…
Tony – Vous êtes la mère de Thibaud ?
La mère, une inflexion de déception ou de honte dans la voix – Oui ! Je vois qu’il s’est déjà fait connaître !
Tony – Il est dans le bureau du principal
avec
La mère, presque « aphone » - C’est pas vrai ! Qu’est ce qu’il a fait encore ?
Tony - Il a démonté un extincteur pour aller se battre en dehors de l’établissement !
La mère – Bon, je vais avertir son père ! Cette fois, tant pis pour lui s’il prend une tannée !
Tony – Bon…
La mère – Je ne vous retarde pas plus longtemps. Je vous remercie ! Au revoir !
Tony – Au revoir !
Vincent Lanusse, entrant dans la vie scolaire – Bon, tu t’es calmé, Tony ?
Tony – Tu me laisses, oui ? Trouve-toi des potes ! Moi je ne suis pas le tien !
Vincent, plus que vexé – C’est bon, j’ai compris !
Tony contempla un instant les mouvements de
foule : que faisait-il
ici ? Il se dit qu’il devait à tous prix finir sa thèse pour trouver un
travail meilleur. Hélas ! Il calait dans ses recherches ! Un sujet
inintéressant, un directeur de recherches inintéressé, bref : il
s’éloignait peu à peu de l’objectif auquel il avait sacrifié tant d’années. En
voyant un gamin mettre un coup de pied dans la cuisse d’un autre, il prit la
décision de téléphoner à son équipe de recherches pour résoudre ce problème qui
n’avait que trop duré.
Tony, avec sa fac au bout du fil – Allô ? Bonjour, j’aurais voulu parler à monsieur Blanc !
Une secrétaire – Vous avez de la chance, il est là ! Je vous le passe !
Tony – Merci !
Monsieur Blanc, le directeur de recherches de Tony – Oui ?
Tony – Monsieur Blanc, bonjour, c’est Tony !
Monsieur Blanc, visiblement étonné – Tony ?
Tony, étonné lui aussi mais désagréablement – Oui, Tony ! Je fais ma thèse avec vous depuis…
Monsieur Blanc, un éclair de conscience plus tard – Ah oui ! Tony ! Qu’est ce qu’il vous arrive ?
Tony, encore plus étonné de cette question – Quoi ? Je… je voulais savoir ce que vous pensiez de mon projet…
Monsieur Blanc – Quel projet ?
Tony, la gorge serrée – Mais je vous avais fait part de mon intention de changer de sujet de thèse…
Monsieur Blanc, énervé – Non mais vous plaisantez, là ? Cela fait plus d’un mois que personne au labo ne vous a vu et vous venez me soumettre de but en blanc un projet insensé !
Tony – Mais je vous ai envoyé mon mél il y a trois semaines…
Monsieur Blanc – Non mais ce n’est pas très sérieux ! Et pourquoi on ne vous voit jamais, d’abord ? Vous savez, une thèse, c’est quelque chose de sérieux !
Tony – Mais je vous ai dis dans mes méls que je ne pouvais pas venir du fait que j’avais beaucoup d’heures à rattraper et…
Monsieur Blanc – Comment ca ? Des heures de quoi ?
Tony, agacé – Mais des heures de travail ! Je vous ai tout expliqué dans mes courriels !
Monsieur Blanc – Moi je suis désolé mais je n’ai rien reçu !
Tony – Ce n’est pas possible ! Et les pages de ma thèse que je vous ai fait parvenir ?
Monsieur Blanc – Non ! Je n’ai rien reçu… à moins que… Ah oui ! J’ai mis un filtre pour stopper l’accès aux fichiers trop importants !
Tony – Comment ça, des filtres ?
Monsieur Blanc – Figurez-vous que j’ai autre chose à faire que de la lecture !
Tony, abasourdi – Quoi ? Mais mon dernier courriel, celui dans lequel je vous disais que j’envisageais de changer d’orientation dans mes recherches contenait un exposé d’une trentaine de pages concernant les changements…
Monsieur Blanc – Désolé mais je ne pouvais pas deviner ! De toute façon, le problème n’est pas là ! Vous n’êtes quasiment jamais au labo, vous ne fournissez pas assez de travail…
Tony – J’en fournis ! Peut être pas autant que les autres thésards parce que je travaille à temps plein et à plus d’une heure de distance du labo, mais je consacre tout mon temps libre à mes recherches !
Monsieur Blanc – Soyez un peu sérieux ! Comment voulez vous qu’un labo vous embauche même si vous finissez votre thèse et même si elle est réussie ? Jamais on ne vous embauchera ! Un directeur de labo aime savoir que son personnel de chercheurs est entièrement dévoué à ce qu’il fait ! On ne peut pas travailler et étudier ! Il faut faire un choix, Tony !
Tony, au bord des larmes – Je suis obligé de travailler ! Mes parents n’ont pas les moyens de m’aider ! Si je pouvais faire autrement, croyez bien que je le ferais !
Monsieur Blanc – Ah oui mais il faut se battre dans la vie !
Tony – Il faut se battre ? Je fais des semaines de trente cinq heures, je me lève tous les matins à cinq heures pour prendre le bus, je perds au moins deux heures par jour en trajet et attente et je trouve le moyen de continuer ma recherche doctorale ! Et vous venez me dire qu’il faut se battre ?
Monsieur Blanc – Ecoutez, ne le prenez pas mal mais vous n’avez pas le profil de quelqu’un qui travaillera dans la recherche, je suis désolé…
Tony, défait – La discussion est close ! Je vous envoie un courriel pour vous faire part de l’arrêt de ma thèse ! J’espère que votre filtre ne l’arrêtera pas ! Au revoir monsieur !
Mattheus, ouvrant la porte, le nez en sang – Tony, tu peux appeler ma mère, qu’elle vienne me chercher ? Je crois que je me suis fait péter le nez…
Tony – Pardon ? T’as pas été le dernier à aggraver les choses il me semble !
Mattheus – S’il-te-plaît Tony…aide-moi !
Tony, l’air absent – Tu sais très bien que les lâches comme moi ne prennent pas de risques !