SEVICE PUBLIC

36. Pars vite et ne reviens pas.




36. Pars vite et ne revient pas.

 

 

VENDREDI 19 DECEMBRE.

 

 

18h35. Tony regardait en catimini sa série sur internet, « Un, dos, tres, quatro ».

« Roberto – C'est ton nouveau petit copain ?

Clara – Non !...

Roberto – Tu as fais quand même l'amour avec lui, Clara !

Clara – Je sais… mais je ne voulais pas ! Au départ je voulais juste faire un Scrabble et  quand il a sorti « bite » en 16 points… j'ai perdu la boule et j'ai fait un tête-à-queue !

Roberto – Je vois ! Tu m'as donc trompé encore une fois, Clara ! »

Olga – Eh ben Tony ! Tu préfères regarder tes séries plutôt que d'aller prendre le pot d'adieu de Johanna ?

Tony, gêné par l'irruption d'Olga – Euh… non mais j'ai fini ! – Se levant pour lui faire la bise – Ca va ?

Olga – Ouais ! Ca m'a fait du bien d'arrêter le pionnicat !

Tony – Et tu cherches dans quoi, maintenant ?

Olga – Oh mais j'ai trouvé ! Le lendemain de ma débauche, je suis allé à l'ANPE pour m'inscrire comme demandeur d'emploi et une femme m'a demandé si je connaissais la bureautique. Je lui ai dit oui, que je connaissais un peu et elle m'a dit qu'ils recherchaient du personnel en CDI à temps plein à la fac ! Depuis la rentrée, je travaille dans une super équipe… bref : je suis hyper contente ! – Silence de Tony – Et toi ? – Au moment où Tony va devoir répondre, entre Johanna. Des cris, encore des cris : comme au « bon vieux temps » ! Tony va au foyer prendre un verre… ou deux.

Ed, un verre à la main – Putain, ce cocktail déchire !

Tony – Je vois ça ! Tu en es à ton combien ?

Ed – Chais pas… quand on aime, tu sais bien qu'on compte pas !

Cédric – Salut les gars !

Tony – Tiens ! Toi aussi tu es venu ?

Cédric – Attends ! C'est le pot de départ de Johanna ! Evidement que je suis venu !

Johanna, accompagnée d'Olga – Allez… tu veux boire quoi ?

Anna , la mine de circonstance – Bon : Johanna, on a quelque chose à te dire.

Johanna – Quoi ?

Anna – De la part de tout le monde, je voudrais te donner ceci. – Un cadeau.

Johanna, stoïque – Merci…

Anna, étonnée de la réaction de sa copine – Tu l'ouvres pas ?

Johanna – Euh…si ! – A Olga – Vas-y, sert-toi pendant que je l'ouvre ! – Johanna déchire le papier. Elle en sort une boîte : à l'intérieur une gourmette.

Anna – C'est de l'or 18 carats. On s'est tous cotisé pour te l'acheter…

Johanna, toujours stoïque – Merci…

Anna, se rapprochant de sa copine – Comme ça, où que tu ailles, tu penseras à nous.

Johanna – Mouais… pas à tous quand même !

Tony – Tu lis pas ta carte ?

Johanna, se saisissant de sa carte - …

Gigi, la prof d'EPS, à Anna – Ca va cous faire un sacré vide à la rentrée !

Anna, sincèrement bouleversée – Pff… Je sais pas comment je vais faire sans elle…

Gigi – Elle a eu son concours pour faire dans la réinsertion des prisonniers, c'est ça?

Anna – Oui… en janvier, elle part en formation.

Ed, à Tony – Putain, il déchire ce ponch !

Tony – Eh ! Fais gaffe !...

Ed – T'inquiète ! – Une grosse gorgée – Tu sais ce que c'est, un rhum-coca ?

Tony, sous les yeux de ses collègues interpellés – Euh…

Ed – Un gitan qui se drogue !

Olga, dans la réprobation – Oh ! Ed !

Monsieur Dufour, un verre à la main – Bon, puisque vous avez lancé les hostilités… - Une grosse gorgée sous le regard attentif des garçons – C'est l'histoire de deux petits garçons. Le premier dit au second : « mon père, il a une quéquette de trente centimètres de long ! » L'autre lui dit : « Ben le mien, il a que vingt centimètres, mais ça fait mal au cul ! » - Hilarité d'Ed.

Olga – Non mais j'y crois pas !

Johanna – Je te jure que demain, je me sentirai mieux !

Charlène, la femme de la cantine – Oh… ils plaisantent un peu, c'est tout !

Johanna, piquante – Ah mais si vous êtes fan de ce genre de beaufitude, chacun son truc !

Ed, à Charlène – Ah ! Je savais bien qu'on verrait de belles poules ce soir !

Charlène, amusée – Comment ça, une poule ?

Ed – Ben ouais ! On a notre poule au pot ! – Rires de Charlène.

Johanna, à Olga – J'en peux plus de ce ringard !

Anna – Bon… ça te dis qu'on sorte, après manger ?

Johanna – Quoi ? On mange ici ?

Anna – Ben oui… On a prévu ce qu'il faut…

Johanna – Pff… Franchement, j'ai pas envie de rester avec ces blaireaux !

Maria – Allez Johanna ! J'y vais…

Johanna – Tu y vas déjà ?

Maria – Ouais ouais… je me casse ! Je les vois déjà assez comme ça la journée sans me les coltiner le soir si tu vois ce que je veux dire !

Johanna – Oh oui, je vois ! Bon, ben écoute : je te fais la bise… - Smack-smack – Et puis bon courage pour la reprise…

Maria, en mode messe-basse – Entre nous, je reviens pas en janvier !

Johanna – Tu reviens pas ?

Maria – Non, j'en ai marre ! Mon mec est muté en région parisienne et je le suis…

Johanna – Mais tu l'as dit aux CPE ?...

Maria – Non ! Mais je me suis renseignée : dans mon cas, ils seront obligés de déclarer un abandon de poste… ils peuvent rien contre moi.

Johanna, amusée – Ca va les mettre dans le jus… C'est bon ça !

Maria – Surtout qu'ils ont même pas commencé à recruter ton remplaçant ! Avec deux pions de moins, ils vont y être vraiment, dans le jus !

Johanna – C'est vraiment des bras cassés !

Maria – Allez, bises-bises et on s'appelle ?

Johanna – Ok, ça marche !

Tony sortit du foyer pour fumer. Comme à son habitude, il se laissa aller à la rêverie. Il regardait ses collègues. En portant son attention sur chacun d'entre eux, il arrivait à détacher du brouhaha de fond les propos tenus. Chacun collait à l'image qu'il s'en faisait ! Monsieur Dufour et sa politique, madame Sauzéon plus mère de famille que CPE, à ses heures, tout du moins… Ed dans la déconne, Johanna, fielleuse, et ses copines : Olga et Maria, fielleuses aussi…

C'est marrant mais Tony se souvenait que Johanna avait été une des premières à lui parler : il n'avait pas aimé leurs échanges. Ils avaient eu beau faire des soirées avec Anna, il n'avait jamais vraiment apprécié Johanna : Ed avait peut être raison quand il disait d'elle qu'elle n'était qu'une petite bourgeoise qui se la jouait gauchiste et altermondialiste ! Elle le snobait, lui, vrai fils d'ouvrier ! Le plus comique, c'est qu'elle le voyait comme un petit bourgeois sous prétexte qu'il avait fait des études universitaires. Un truc accessible aux seuls bourgeois, bien sûr !

Puis ses songes se portèrent sur autre chose. Il restait six mois avant la sortie des classes. La rentrée avait été difficile. Il ne se sentait pas la force de rester. S'il quittait son poste, il n'aurait droit à aucune aide. Et puis il avait eu tellement de mal à trouver un temps plein qu'il hésitait à se couper de cette source de revenus. D'un autre côté, il était conscient qu'il perdait du temps, professionnellement, s'entend. Car il se savait utile : gosse, quand il était lui-même collégien, il avait eu à souffrir de l'injustice des adultes. Ses profs, les pions, la direction ! Tout le monde dans le même sac ! Il se souvint que les merdeux s'en tiraient toujours à bon compte alors que les autres, à la moindre incartade, ils prenaient cher ! Il essayait d'être, en somme, le pion qu'il n'avait pas eu. Etre juste : bon avec les gentils et sévère avec les méchants. Il n'avait pas toujours le soutien de la direction, mais il essayait d'être cet adulte qui redonne confiance aux gamins. Au gamin qu'il avait été.

 







25/11/2011
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