SEVICE PUBLIC

47. Burnout 2.



47. Burnout 2.


VENDREDI 06 MARS.



Tony était triste.
Il venait de recevoir un énième râteau. Il avait écrit à une société qui avait des postes à pourvoir, des postes, pensait-il, qui lui convenaient. Hélas : avoir étudié la Philosophie avant l’Intelligence artificielle le condamnait à ne rien trouver; ou à passer un Capes Philo impossible à obtenir vu le nombre de postes pourvus. L’employeur, plutôt aimable d’ailleurs, lui disait franchement que son cursus philo le plomberait chaque fois qu’il postulerait à un métier technique ajoutant qu’il ne voyait pas comment il pourrait en sortir par le haut. Tony songea, amer, à ses études : tant d’années gaspillées à foutre son avenir en l’air.
Il regardait par la fenêtre de la vie scolaire. L’hiver n’en finissait pas. Un brouillard épais tombait lourdement. De quoi se flinguer, pensa-t-il.
Madame Sauzéon n’était pas censée travailler cet après-midi là…
Madame Sauzéon, à un troupeau d’élèves – Qu’est-ce que vous attendez pour vous ranger ? J’en ai marre maintenant de répéter toujours les mêmes choses !
Tony, brusquement tiré de son rêve – Mais… je croyais qu’elle bossait pas aujourd’hui !
Anna, agacée – Elle peut pas s’empêcher de venir au boulot même quand elle ne travaille pas de toute façon !
Ed – Je vais les faire ranger avant qu’on se fasse défoncer !
Tony – Moi, je finis mon rapport si elle demande…
Ed – Ok ! – Il sort de la vie scolaire et voit Alexis et deux de ses potes assis sur un banc – On se lève les gars, ça a sonné. – L’un d’eux se lève – On se lève j’ai dit ! Ca a sonné !
Alexis – Mais on attend la perme !
Ed – D’accord mais quand ça a sonné, vous êtes censés être rangés.
Alexis, narquois – Ouais, on est censé.
Ed – Lève-toi Alexis !
Alexis – Je suis fatigué, là !
Ed – Tu te lèves et tu arrêtes de faire le mariolle maintenant !
Alexis – Pff… - Il se lève lentement et fini par se ranger le regard torve.
Madame Sauzéon, au loin – Qu’est-ce que j’ai dit ? Je veux vous voir rangés, et vite !
Ed, à Alexis – Ca pourrait se passer mieux que ça Alexis ! C’est à toi de voir !
Madame Delage, prof – C’est pas possible de crier comme ça ! On se croirait revenu au temps des dinosaures !
Monsieur Manin – C’est vrai qu’elle pourrait faire ça plus discrètement…
Ed – Euh… c’est un peu facile !
Madame Delage – C’est-à-dire ?
Ed – Vous êtes bien contents de trouver des élèves rangés quand vous venez les prendre pour aller en cours !
Madame Delage – Peut être mais il y a d’autres façons de faire que de gueuler sur les élèves et les menacer.
Ed – Alors comment on fait ?
Madame Delage – Parler, expliquer : ça te dit quelque chose ?
Ed – Oh ! On a 1000 élèves censés être rangés en cinq minutes… la moitié se fout de la sonnerie : et sur cette moitié, une moitié se fait un devoir de faire le contraire de ce qu’on lui demande. Le calcul est simple, même pour un prof de Français ! On est trois à les faire ranger, faut que ça aille vite !
Madame Delage – Même si je ne suis qu’une prof de Français, je sais que la seule chose que vous obtiendrez à vous comporter comme vous le faites, c’est des clashes ! Faut pas s’étonner des fois que des élèves pètent un câble et se rebiffent contre les adultes !
Ed – Bien sûr ! Donc vous voulez les résultats sans vous poser la question des moyens !
Madame Delage – Si, je me pose la question des moyens ! Puisque je propose une autre manière de faire !
Ed – Je rêve ! Embauche dix fois plus de personnels si tu veux que l’on prenne le temps de bavasser avec chacun des élèves qui aura décidé de jouer au con !
Madame Delage – Excuse-moi mais il n’y en a pas tant que ça !...
Ed – Pourquoi ? Tu es dans la cour tous les jours à faire de la discipline ?
Madame Delage – Non mais si vous vous y preniez mieux, les élèves résisteraient moins !
Ed – Ouais… vous vous réclamez de théories impossibles à appliquer parce que vous n’avez pas à les appliquer !
Madame Delage – C’est quand je vois des gens comme vous, Ed, que je me dis que le problème des ados c’est les adultes !
Ed – C’est ça ! Les adultes qui ne jouent pas leur rôle !
Madame Delage – Je te demande pardon ?
Tony – Ed ! Je vais prendre la première permanence ; Anne Marie la seconde. Est-ce que tu pourras aller voir Dana au secrétariat ? Elle a besoin d’un coup de main pour classer des dossiers…
Madame Delage, à Tony – Attends : Anne Marie a une perme, là, maintenant ?
Tony – Oui !
Madame Delage – Ca m’arrange pas, ça ! Je venais la voir pour lui demander quelque chose…
Tony – Tu verras ça après…
Madame Delage, à madame Sauzéon – Françoise ! Dis, j’ai un problème…
Madame Sauzéon – Mais pourquoi il y a autant d’élèves en permanence ?
Tony – On a des profs absents…
Madame Sauzéon – Oui mais quand même !
Madame Delage – Eh ! On peut revenir à mon problème ?
Madame Sauzéon – Oui ! Oui ! Excuse-moi…
Madame Delage – J’ai besoin de voir Anne Marie pour un atelier que j’aimerais lui faire faire. Seulement, elle a perme et je ne peux pas la voir l’heure d’après. Tu peux pas mettre quelqu’un d’autre à sa place ?
Madame Sauzéon – Quelqu’un d’autre ? A part Ed, on n’a pas assez de monde aujourd’hui… - A Ed – Ca vous embête de prendre la place d’Anne Marie ?
Ed, dans sa barbe mais à voix haute – Je rêve, là ! – Aux élèves – Allez, vous me suivez au calme ! – Du bruit – Oh ! J’ai dit « au calme » !
Tony, dans sa tête – Qu’est-ce qui se passe, là ?
Vincent – Tony, c’est qui qui fait la perme ?
Tony – Oh non ! Tu vois bien que c’est moi qui viens vous chercher, quand même !
Vincent – Je demande, c’est tout…
Tony voit Alexis faire le kéké – C’est bon, je vais passer une heure d’enfer ! – Alexis bouscule un élève – Alexis ! – Il se marre en voyant Tony – Ah non ! Tu vas pas commencer avant même d’être rentré en permanence !
Alexis – Ouais ! Je vais attendre d’être rentré pour faire du dégât ! – Rires de quelques élèves.
Myriam – Il est chiant celui-là de toujours faire le malin !
Tony, énervé – Très bien : tu viens avec moi à la vie scolaire.
Alexis – Pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Tony – Tu veux faire le malin ? Tu restes à la vie scolaire ! J’en ai marre de te supporter en perme ! – Ils entrent dans la vie scolaire – Je vous préviens que je ne veux pas le voir en perme de toute l’heure ! – Il ressort aussi sec de la vie scolaire.
Tony fit rentrer les élèves en étude et obtint le silence après dix minutes. Il repensa à sa réponse pour sa demande d’embauche. Pas moyen de trouver un boulot dans son domaine d’étude, ni de se recycler ! Tony ne voyait pas d’issue à sa situation et commençait à penser que dans cinq ans, il serait toujours ici à attendre la fin de son CDD non renouvelable ! Il s’enfonçait toujours plus dans de sombres pensées quand Alexis refit surface à sa grande angoisse.
Tony – Qu’est-ce que tu fais, là ?
Alexis, narquois – C’est Vandeputte qui m’a dit de revenir en perme !
Tony – Comment ça ?
Alexis – Sauzéon m’a envoyé le voir et il m’a dit de venir en perme !
Tony – C’est tout ?
Alexis, un haussement d’épaules – Ben ouais !
Tony, les mâchoires serrées, pour lui-même – Putain ! J’avais dit que je voulais pas le voir ! J’en ai marre, marre, marre, marre !... Il va me faire chier toute l’heure !
Alexis, à voix haute – Eh ! Ca sent la mort ici ! – Rires des élèves.








27/01/2012
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