9. « UN, DOS, TRES, QUATRO ! »
Ce matin là, Tony était arrivé très en
avance pour regarder l’épisode de « un, dos, très, quatro ! »
qu’il avait téléchargé juste avant que son ordinateur ne tombe en rade. Il
était absorbé par le suspense: il allait enfin savoir quelle était la nature de
la liaison entre Roberto et Clara !
« Clara, tu viens chez moi, ce soir ? – demanda Roberto.
Clara – Non Roberto, nous devons cesser de nous voir !
Roberto – Mais nous avons fait l’amour hier soir !
Clara – Roberto, je dois t’avouer quelque chose…
Roberto – Quoi Clara ?
Clara – Roberto, je t’ai confondu avec Miquel !
Roberto – Comment peux-tu me dire ça, Roberta ?
Clara – Non, moi c’est Clara, Roberto !
Roberto – Désolé Claro !
Clara – Claro ?
Roberto – Claro que si ? »
Vincent Lanusse, un élève qui trouvait un modèle en Tony, arriva à la vie scolaire bien plus tôt que prévu – Salut Tony !
Tony, éberlué – Tu fais quoi, Vincent ?
Vincent – Ma mère m’a amené en avance parce que ma sœur, qui est à l’université, s’est cassé la jambe cette nuit en quittant la fac et comme elle n’a qu’une jambe…
Tony, éberlué, mais pour d’autres raisons – Comment ça « elle n’a qu’une jambe » ?
Vincent – Ouais, elle s’est faite amputer la jambe il y a deux ans !
Tony – Elle est unijambiste ?
Vincent – Ca veut dire quoi « unijambiste » ?
Tony – Qui n’a qu’une jambe !
Vincent – Ouais, elle est unijambiste !
Tony – Et elle faisait quoi la nuit, à la fac ?
Vincent – Non, mais c’est parce qu’on est en mars, la nuit tombe gavé vite ! Il devait être onze heures, tu vois ?
Tony – Onze heures ? Du soir ?
Vincent – Ben ouais, du soir !
Tony – Bon… mais comment tu savais qu’il y aurait quelqu’un aussi tôt ce matin ? Tu aurais pu te retrouver tout seul dehors !
Vincent – Non mais j’ai dit à ma mère que tu arrivais à sept heures et demi du matin aujourd’hui !
Tony, scié en deux – Et comment tu le sais ?
Johanna – Salut, Tony, ça va ?
Tony – Bien et toi ?
Vincent – Salut Johanne !
Johanna, légèrement irritée – Moi c’est Johanna, ok ?
Vincent – Désolé ! Non, c’est parce que ma sœur s’est cassée la jambe…
Johanna – Non mais c’est bon ! Et puis tu fais quoi ici à l’heure qu’il est ?
Vincent – Non, c’est parce que ma sœur s’est cassée la jambe…
Tony, absorbé par autre chose – Pourquoi il plante ce PC ?
Johanna, à Tony – Tu fais quoi ?
Tony – Tu vas rire mais je regardais un épisode de « un, dos, tres, quatro » que j’ai téléchargé juste avant que mon PC ne tombe en panne !
Johanna – Et qu’est-ce qu’il a ?
Tony – Il a attrapé un virus !
Vincent – Ma sœur, quand elle a été amputée, elle a attrapé un virus…
Johanna – Et c’est quoi ton fournisseur d’accès ?
Tony – Alice !
Vincent - …ou une maladie nauséeuse…
Johanna – Alice !! Il faut pas aller chez Alice !
Tony – Quoi ?
Vincent - …non, une maladie nauséabonde…
Johanna – Alice, c’est une boîte de Sylvio Berlusconi !
Tony – Ah bon ?
Vincent – On dit quoi déjà, Tony ?
Tony, perdu – Quoi ?
Johanna, à Vincent – Non mais tu nous lâches avec ta sœur ?
Vincent, très vexé – Excusez-moi ! C’est juste que ma sœur a été amputée et que je voulais savoir comment on dit pour les maladies nauséabondes ?
Johanna, à Tony – Tu savais qu’il a fait voter par sa majorité des lois qui d’amnistie pour les grands délits financiers juste avant qu’il ne soit convoqué chez le juge ?
Tony – Ouais, plus ou moins…
Johanna – Non mais c’est un gros facho !
Tony – Pff…ce n’est pas si simple !
Johanna – T’es fou ou quoi ?
Tony – Il a fait voter des lois légalement !
Johanna – Tu le défends ?
Tony – Non, je constate juste qu’il s’est servi d’un système qui présente des failles ! Maintenant il est vrai que quelqu’un d’honnête ne devrait pas agir de la sorte, surtout…
Johanna – Non mais faut arrêter là ! C’est pas normal ce qu’il a fait !
Tony – Je suis d’accord ! Mais il n’a rien fait qui allait contre la constitution, que je saches ?
Johanna – Donc tu trouves ça normal ?
Tony – Je n’ai pas dit ça ! Je conteste juste le vocable « facho » parce qu’il ne …
Vincent – Tony, pourquoi tu parles toujours comme un bourgeois ?
Tony, ulcéré – Comme un bourgeois ? Tu te fous de qui ? Je suis désolé de parler correctement le français…
Johanna – Change pas de conversation Tony…
Tony – Mais je ne change pas de conversation Johanna, je réponds juste à Vincent !
Johanna – Mais oui, c’est ça ! Non mais j’y crois pas : tu as le culot de venir me dire que Berlusconi est blanc comme linge…
Tony, exaspéré – Pas du tout, et pour tout te dire je pense que c’est le type de politiciens qui pousse une partie de l’électorat à l’abstention ! Je ne l’aime pas mais il faut reconnaître que l’Italie est une démocratie, même aux mains d’un gars qui utilise l’appareil législatif à ses propres fins !
Johanna – Non, non ! Je suis désolée, je ne peux pas laisser passer ça !
Tony – Quoi ?
Johanna – Excuse-moi d’être trop à gauche ! Je suis désolée de te dire que ce qu’il a fait est un abus de pouvoir ! Les italiens n’ont pas eu le choix : ils ont été contraints d’accepter les choix de Berluscono !
Tony – Contraints ? Par la force des choses puisqu’il a adopté la voie légale !
Johanna, « indignée » – Non ! De toute façon tu es pour les riches, t’en as rien à foutre du peuple qui crève la dalle ! Mais moi, désolée, je suis avec ceux qui souffrent ! Et j’en ai rien à faire que vous pensiez tous que je suis une vulgaire gaucho ! Moi j’ai ma conscience pour moi !
Tony, fatigué – Oh là ! C’est bon ! Je regardais un épisode de « un, dos, tres, cuatro » au départ ! Je n’étais pas parti pour m’engueuler avec toi à propos de politique !
Vincent, à voix basse – Ma sœur, c’est pareil que toi, Tony !
Johanna – Ah, mais libre à toi de préférer regarder des séries américaines plutôt que de dénoncer ce qui ne va pas dans le monde…
Tony, péremptoire – C’est pas américain, c’est espagnol !
Johanna – De quoi ?
Tony – « Un, dos, tres, quatro » ! C’est espagnol, comme série !
Johanna, haussant le ton – C’est pareil ! De toute façon ils ont copié les américains, rien que pour vendre leur série !